Article rédigé par Romain B.
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Aujourd’hui je m’attaque à un gros morceau. Certains diront même à des jeux intouchables, ah non personne ne dit ça ? Alors allons-y !
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Vital Lacerda. Et voilà, c’est lâché, je vais tenter de faire le tour des jeux de l’auteur portugais. Des jeux qui, à mes yeux, sont uniques par une caractéristique assez reconnaissable : les mécaniques sont intégrées dans le thème du jeu.
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Ils ne sont pas nombreux les auteurs à développer des jeux dans ce sens de réflexion. Partir du thème pour y intégrer les mécaniques, c’est être sûr que l’éditeur vous suivra, que votre thème est assez fort pour justifier cela.
Avec Lacerda, c’est le sentiment que j’ai à chaque fois que je joue à l’un de ses jeux. Le thème est tellement présent qu’il justifie telle ou telle action et donc la partie en devient plus fluide. Un ami auteur me dis souvent que lors de ses tests de prototypes, il prête une attention particulière au fait que les joueurs, lors de leurs échanges, utilisent des mots pour parler du matériel comme cartes, cubes, pions, tuiles ou des mots en rapport avec ce que ce matériel représente. Quand je joue à un Lacerda, je parle de mon galion dans Lisboa, de ma vigne de la région du Duro dans Vinhos ou encore de ma serre dans On Mars. C’est un gage de qualité et d’immersion qui met en lumière le talent de l’auteur, les joueurs sont tout simplement dans le jeu, dans l’histoire qu’il raconte. Je connais les régions du Portugal depuis que je joue à Vinhos, il faut le faire quand même !
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Je suis donc plutôt partial quand il s’agit des jeux de Lacerda. Je suis un grand fan de ses créations, il ne m’est pas facile de les classer entre celui que je préfère et celui que je joue le moins. Pour les tests qui vont suivre, je vous parlerai de Vinhos, The Gallerist, Lisboa, Escape plan et On mars.
Je laisse Kanban de côté puisque sa sortie dans sa version EV en fin d’année me donnera l’occasion d’en reparler. Pour CO2, c’est le seul que je n’ai pas joué, le coopératif me refroidit énormément, je fais partie de ces joueurs alphas invivables sur une partie en coop, je dois donc soit trouver des joueurs très motivés, soit arrêter de vouloir imposer mon avis à chaque action…. Et c’est pas si simple.
Pour ces avis sur les jeux, je ne ferai pas le tour de toutes les règles.
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Avant de commencer avec Vinhos, mon premier Lacerda, parlons un peu de l’éditeur avec qui il travaille depuis quelques temps désormais, Eagle Gryphon Games. Ce qui marque en premier, avant même de s’intéresser aux jeux, ce sont ces boites rectangulaires et massives. Une fois ouvertes, on se dit que l’on est en présence d’un jeu ou chaque détail est travaillé, tout y est amélioré, plus épais, plateaux double épaisseur, cartes toilées et inserts travaillés. Tout est fait pour créer cet effet Wahoo, le plaisir d’avoir une table de jeu magnifique et, ne le cachons pas, pour justifier le prix de chacun de ces jeux qui dépasse de plus en plus facilement les 100 euros.
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J’ajouterai le travail de Ian O’toole (Age of Steam, Nemo’s War, Lisboa, The Gallerist, Rococo, …), l’illustrateur en vogue ces derniers temps qui sait rendre un jeu lisible et la couverture de la boite magnifique. Pour le côté beauté du plateau de jeu d’un Vinhos, chacun se fera son avis.
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Alors commençons par Vinhos, dans son édition 2016, une édition allégée par rapport à sa grande sœur de 2010 et donc bien plus accessible. Oui oui accessible. Après tout, Vinhos ce ne sont que 6 manches avec deux actions par joueur par manche, au final, en 3 heures c’est réglé.
Car oui j’avais oublié de le préciser, les jeux de monsieur Vital sont plutôt orientés expert, voir expert-expert. Du bon chauffe neurones comme on les aime, du gros jeu qui fait la soirée !
Dans Vinhos il y aura donc 6 manches divisées en 3 périodes : une de 3 manches, une de 2 manches et finalement une dernière d’une seule manche qui, bizarrement, dure bien plus longtemps que les deux autres ! à croire que l’on réfléchit plus quand on n’a plus que 2 actions.
Les joueurs victimes d’analysis paralysis, ce syndrome qui vous pousse à surcalculer tout ce qui pourrait se passer, vous faisant passer pour un Kasparov ludique en cas de victoire ou juste celui qui prend trop de temps pour pas grand-chose si vous vous plantez, ces joueurs-là font partie des nombreuses victimes des jeux de Lacerda. Il est tellement facile, voir même tentant d’essayer de tout anticiper. Mais essayer seulement car ces jeux offrent tellement de possibilités qu’il sera bien compliqué de ne pas passer 20 minutes à chaque tour pour tout prévoir.
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Donc Vinhos ! Cultiver du vin portugais vous a toujours tenté ? L’appel de la vigne et des cépages ? C’est l’occasion de mettre à l’épreuve vos talents d’œnologue. Le titre vous propose, sur vos domaines, de cultiver des vignobles de différentes régions du Portugal proposant vins rouges et blancs. Ici pas de rosé en mélangeant les deux mais des œnologues et des experts qui, dans vos caves vont améliorer vos vins en vue de leur revente, leur exportation ou le but ultime : gagner la foire aux vins annuelle !
Eh oui ! On peut résumer ce jeux en 3 phrases mais cela ne vous empêchera pas de jouer pendant des heures.
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Alors pourquoi craquer ? Qu’est ce qui fait de Vinhos un jeu qui vaut son prix ? Est-ce un jeu exceptionnel ?
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Vinhos est un excellent jeu, si je voulais pousser, je dirais même que vous disposez de 2 jeux en 1 avec les versions 2010 et 2016 dans la même boite. Le tarif est élevé et si vous voulez toutes les options et mini extensions, oui ils ont mis des add-ons à part, le ticket avoisine les 140 euros. On passe donc dans une catégorie de prix au-delà des simples mécaniques et du matériel, toute qualité premium qu’il soit. On passe au stade de l’objet de collection. Vous payez une part de magie, certains diraient de vent, comme pour tout objet de collection. Vous seul pouvez juger si la possession de ce jeu vaut le tarif déboursé.
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Pour ma part, je ne regrette pas une seule seconde mon achat, Vinhos est un jeu profond et très agréable, un bel objet que j’ai plaisir à mettre sur la table et à faire découvrir.
Ce n’est clairement pas le plus profond des Lacerda, l’un des plus lisibles même ! Vous allez effectuer 3 années de production, de plus en plus courtes mais le fonctionnement reste le même, le scoring en cours de partie est rapidement appréhendé. Pour le scoring final entre les exportations, c’est une autre limonade (blague ©1987) et il vous faudra 2 ou 3 parties pour les maîtriser et les anticiper, ce qui est une bonne nouvelle non ?
Quand je dis que le jeu est fluide et lisible, je suis dans le cadre des jeux experts, on parle d’un jeu qui détient la note de 4.05/5 en « poids » sur Boardgamegeek, 4.21 dans sa version 2010. Le poids sur BGG est issu d’un vote par les joueurs, chacun vote pour le niveau d’expertise demandé par le jeu avec à 1 du familial et à 5 un jeu expert opaque et très complexe. Avec 4 on est dans la classe des jeux pour experts affirmés.
Un gros jeu donc, physiquement et dans ses mécaniques, et pourtant, une fois lancé, vous ne reviendrez quasiment pas dans le livret de règles, tout est dans le thème et logique. On remarquera même l’intégration du pion de compte tour qui vous ajoute un coût quand vous choisissez l’action où il se trouve, le genre de détail qui me fait dire que cet auteur est vraiment à part.
Comment fonctionne le cœur de mécanique du jeu ? De la pose d’ouvriers avec pour but d’optimiser au maximum les actions choisies. Au centre du plateau un carré de 3 cases par 3 vous proposant les 9 actions du jeu. Obtenir de nouveaux cépages, vinifier vos vins dans vos chais en installant de nouvelles caves, en recrutant des œnologues, des ouvriers agricoles et des experts pour vous assister. Tout cela coûte de l’argent bien entendu et, comme d’habitude, la gestion de vos ressources financières sera centrale. Et pour récupérer des fonds, il vous suffit de vendre vos productions aux commerces locaux, si vous le voulez, vous pouvez exporter également vos fûts.
Les cépages disponibles sont différents avec chaque région du Portugal, chacune ayant son petit avantage. Une belle occasion d’apprendre que le Duro est la région qui produit le porto, ce vin cuit qui peut être rouge ou blanc !
Les vins dans vos caves vont prendre de la valeur avec le temps qui passe mais attention si vous les y laissez trop longtemps il se gâtent et sont perdus. De plus, la qualité d’un vin n’est pas la même que sa valeur financière ! Certains vins seront naturellement plus chers, d’autres auront besoin de promotion pour se vendre mieux.
La météo sera bien entendu de la partie, favorisant la vinification de vos vins ou la rendant moins bonne, chaque année est différente !
Le but de tout cela est d’être reconnu meilleur vigneron par vos pairs et, pour ce faire, quoi de mieux que de remporter l’une des foires aux vins annuelles ?
Cet événement intervient à la fin de chacune des 3 manches. Les joueurs peuvent présenter leurs productions plus tôt dans la saison mais en général vous attendrez le dernier moment pour laisser vos vins travailler le plus possible en cave.
Remporter une foire vous assure de la renommée mais attention chaque foire sera un nouveau combat, avec ses spécialistes à satisfaire, ses bonus à récupérer. Même si votre stratégie n’est pas axée sur les foires elles restent un élément central du jeu vous permettant de récupérer de nouveaux tonneaux qui sont au centre du jeu.
Pour les voies stratégiques, vous pouvez vous axer sur l’exportation à l’international ou encore récupérer des objectifs après les foires. N’oubliez pas, comme dans tout bon jeu expert, de surveiller vos adversaires, là encore il vous faudra plus d’une partie pour anticiper et contrer leurs choix. Pas d’interaction directe, nous sommes vignerons, on ne va pas aller détruire la cave d’un concurrent quand même !
Et pour faire tout cela, 2 actions chacun par manche. La première année dure 3 manches, la 2ème année dure 2 manches et la dernière année ne dure qu’une seule manche ! C’est plutôt rapide même si pour chaque action choisie le joueur peut l’effectuer 2 fois.
Peu d’actions au final mais pour autant peu de frustration ! Même si, je dois l’avouer, le jeu a un point faible : la météo.
Je m’explique, dans le cas d’une partie où la météo désastreuse s’enchaine, les productions sont très faibles et toutes les actions deviennent extrêmement tendues, la partie parait très frustrante. C’est pourquoi je vous conseille quelque chose qui normalement ne se fait pas : retirer les deux tuiles météo -2 lors de votre première partie, pour ressentir la montée en puissance du jeu et en apprécier les mécaniques.
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Voilà un rapide tour du propriétaire de Vinhos, un jeu de Vital Lacerda qui s’est imposé comme l’un des meilleurs auteurs de jeux experts ces dernières années. Pour compléter, j’ajouterai que le jeu tourne très bien dès 2 joueurs, il prend une autre dimension à 3 et à 4 mais on ne s’ennuie pas en duo non plus !
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Je vous retrouve bientôt pour jeter un œil à Lisboa ! En attendant, bon jeu à tous, moi ça m’a donné envie de le ressortir.