Alors ok, c’est pompeux comme titre.
Quel sera l’impact de ce texte ? Certainement aucun.
Ai-je envie de le publier quand-même, et continuer notre chemin comme on l’a toujours fait ? Absolument, et on va profiter de cette petite tribune pour enfoncer quelques portes ouvertes.
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“Trop d’jeux c’t’année”.
Il est bien difficile d’obtenir un chiffre exact mais nul doute qu’il est incroyable. A bien des égards. Dans le bon comme dans le mauvais sens du terme. Où nous emmènera cette saturation de l’espace en boutiques ? Personne ne peut avoir la réponse, personne n’est devin, mais de plus en plus de voix se font entendre pour attirer l’attention sur cet afflux de sorties impossible à digérer pour le public comme pour les boutiques. Matthieu d’Epenoux par exemple, gérant de Cocktail Games, alerte régulièrement à ce sujet. Le Passe-Temps a mis en ligne une vidéo au titre sans équivoque « Trop de jeux c’t’année ». L’éditeur Catch Up Games a pris le temps de faire le bilan de son année ludique, et souhaite ne « pas participer outre mesure à la saturation du marché ludique ».
Sur ces multiples sorties de 2021, combien sont présentes en boutiques quelques semaines, mois ou années après ? Car oui, il y a de la casse. La communication est omniprésente et souvent (pas toujours heureusement) indispensable au succès d’un jeu. Et on parle ici de succès commercial. Ceux qui n’ont pas de moyens de communication, ou ceux qui ne les maîtrisent pas en sont généralement pour leurs frais. S’il est encore besoin de le préciser, les évènements sanitaires mondiaux et leurs impacts sur les délais de fabrication, d’acheminements et l’augmentation de ces coûts impactent énormément la filière. Le résultat est aussi un calendrier des sorties impossible à gérer, et parfois, tout arrive dans les entrepôts en même temps. Les places sont chères en rayons, et tous les éditeurs ne peuvent pas se permettre de sortir 50 jeux par an dont 3 rentables pour financer tous les autres. Certains n’ont presque pas le droit à l’erreur.
Alors c’est bien beau tout ça, mais on fait quoi ? Eh bien, avant d’aller peut-être recueillir les avis d’éditeurs, de distributeurs, de boutiques, d’auteurs, d’illustrateurs, et surtout de joueurs (!), et bien commençons par ce que NOUS pouvons faire à notre niveau, en tant que blogueurs.
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Les influenceurs
Bouh, quel terme connoté très souvent négativement sur les réseaux. C’est surtout aujourd’hui un mot fourre-tout qui englobe l’ensemble des réseaux, même si le traitement ludique n’a souvent aucun rapport entre eux. Insta, Youtube, Twitter, Twitch, Facebook et bien d’autres… Multiplicité de canaux, vidéos, écrits, photos, mais surtout pas grand-chose à voir entre eux, à part la passion qui anime ces acteurs. Oui il ne faudrait pas l’oublier et surtout arrêter de fantasmer la « Youtube Money », les contrats de sponsoring, les affiliations avec des boutiques qui remplissent les caisses, et les valises de billets envoyées par les éditeurs.
Ceux qui pensent que des influenceurs ludiques peuvent en vivre n’y connaissent rien.
On commence tout de suite avec ce qui fâche, à savoir l’utilité des influenceurs. Eh bien, très clairement, aujourd’hui, elle reste à prouver. Et voici peut-être un début d’explication.
Faisons un rapide arrêt sur image sur le site le plus connu de vente de jeux en ligne, à savoir Philibert. Plusieurs médias dont nous-mêmes pouvons poster nos avis sur les jeux, et les noter de 1 à 5. Outre le fait que noter un jeu selon des critères communs est impossible, le fait est qu’il faut bien mettre une note sur ce site. Dont acte.
Voici un tableau qui regroupe le nombre d’avis postés pour plusieurs blogs, et la répartition de la notation de ces jeux, notés entre 1 et 5 :
47% des jeux testés reçoivent la note de 5/5. Édifiant non ?
Un 5/5 devrait correspondre à un très bon jeu, qui sort du lot. Un 1/5 l’inverse.
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Je pourrais m’arrêter là, puisque prise seule, cette donnée pourrait suffire à décrédibiliser le système de notation sur Philibert par les blogs. Il faut aussi le mettre en corrélation avec la période sur laquelle ces jeux ont été testés. Par exemple, Vin d’Jeu semble exister depuis 14 ans, avec 998 jeux notés sur Philibert. Undécent avec 522 jeux notés en 2 ans. Vonguru a noté 261 depuis 5 ans. Le Labo des Jeux 321 notes depuis 4 ans et demi.
Allez, quelques derniers chiffres et on arrête là pour les maths, 66.14% des jeux testés et notés par Paradoxe Temporel ont reçus la note de 5 étoiles. 68.95% pour Pixel Adventurers et 77.19% pour Undécent. VonGuru, Undécent, Pixel Adventurers, Akoa Tujou et Paradoxe Temporel n’ont jamais noté un jeu en dessous de 3/5.
Je n’ai relevé que les pourcentages les + évocateurs, mais si vous lisez le tableau en détail, c’est à peu de chose près la même pour tout le monde. Sans vouloir pointer du doigt tel ou tel site, on se rend bien compte que c’est général. A partir de là comment ne pas assimiler ça à de l’influence au service des éditeurs, et non un véritable retour sincère et honnête sur des jeux, à destination des joueurs ? Chacun se fera son opinion. La réalité est toute autre et il serait dommage de ne réduire les blogs qu’à cela.
Cette note, avec tous les défauts qu’elle a (seulement /5, aucun système de notation n’est fiable quand on compare des torchons et des serviettes …) est bien sûr l’avis de la personne qui l’a testé, et qui a posté cette note, ça tombe sous le sens, mais il est bon de le repréciser, tant je vois revenir lors de discussions virtuelles ou réelles le traditionnel « oui mais tu n’es pas objectif » ou bien « oui mais tu devrais préciser à mon avis lorsque tu écris ». J’ai fini par ne plus forcément relever tellement cela illustre que peu sont finalement prêts à envisager la possibilité d’existence d’une critique ludique. Moi-même je la cherche encore d’ailleurs.
De là à arriver à un ratio de 70% de jeux testés et qui méritent un 5/5 ça pose tout de même question de la pertinence du système de notation, de la note attribuée et du blog qui l’a attribué.
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D’ailleurs c’est quoi la critique ludique ?
La critique c’est pour Wikipédia le fait de discerner la valeur des personnes ou des choses. Le critique est une « personne qui porte un jugement sur des œuvres artistiques, littéraires. »
Le terme est souvent connoté négativement, alors appelons-le comme vous le souhaitez, peu importe, mon propos est qu’il y a un vrai manque de chroniques/critiques/avis étayés, développés, argumentés, et surtout sincères et qui ne se concentrent pas que sur les points positifs d’un jeu.
Personnellement, je trouve cela parfois trop élitiste. Le vocabulaire utilisé, le référentiel nécessaire à comprendre la comparaison avancée, le style parfois trop littéraire. Le jeu de société est populaire, et je pense que l’on devrait surtout accentuer les efforts sur des retours plus honnêtes, plutôt que sur de la critique trop littéraire. Après tout, ce que les joueurs doivent rechercher avant d’acheter un jeu, c’est savoir ce qu’ils trouveront en jouant à ce jeu, comment se déroulera une partie, quels sont les points forts, les points faibles du jeu. À qui il s’adresse, quelle configuration est bancale, si le matériel est de très bonne qualité ou l’inverse, le rapport qualité/prix.
Si déjà, on pouvait voir plus d’articles, posts, vidéos, tweets dans ce sens, ça permettrait peut-être d’éviter que des joueurs aient le sentiment de “s’être un peu fait avoir”. Car oui, ne parler que des points forts d’un jeu n’est pas honnête. Chaque jeu joué ne peut pas être parfait, sinon c’est que c’est certainement le 2ème ou 3ème jeu auquel vous jouez, et vous êtes encore dans cet enthousiasme béat et enfantin de la découverte d’un vaste monde ludique qui s’offre à vous.
Un post Instagram peut indiquer que « ce jeu est top, on a passé un super moment, en + les figurines sont trop belles ! On a adoré la partie on vous le conseille ! ». J’ai envie de répondre que tu as peut-être juste déballé le matériel pour faire une photo si tu n’as que ça à dire sur le jeu… mais bon, je m’égare.
Critique ludique peut être un terme pompeux et élitiste. De vrais avis, de vraies chroniques, des arguments développés, des points forts – points faibles exposés, voilà déjà ce qui pourrait faire du bien au monde ludique.
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« Pourquoi vous ne parlez pas d’un jeu que vous n’avez pas aimé ?«
Souvent quand cette question est posée à un influenceur, les réponses sont souvent le manque de temps, le manque d’envie, le manque d’intérêt… Au-delà de ces réponses, on peut y voir plusieurs raisons diverses et variées :
– la peur de se prendre un retour de bâton d’un éditeur (la grande majorité sont tout de même bienveillants). Certains diront aussi que c’est par peur de ne plus recevoir des boîtes. Personnellement j’ai des exemples avec SWAF ou Super Meeple qui n’ont pas apprécié certains articles ou posts. Selon moi, les éditeurs n’ont rien à dire, sauf si des erreurs sont commises. Un avis est par définition subjectif, s’il ne leur plait pas c’est pareil. Nous faisons l’effort de développer notre argumentaire, nous ne nous contentons pas de 3 lignes. Mais il est certain que les éditeurs n’ont pas vraiment intérêt à voir se développer cette conscience ludique. Après tout, le but est qu’on voit leur jeu sur une période de plus en plus réduite vu le nombre de sorties qui poussent au cul dans les rayons.
– la difficulté ressentie par certains d’écrire quelque chose de construit, argumenté et développé quand il s’agit de relever des défauts, de dire pourquoi ça n’a pas plu, pourquoi ça n’a pas fonctionné autour de la table. Il semble acquis pour la plupart qu’il est bien plus simple de dire qu’un jeu est top, excellent, et que vous devez l’essayer. Vous dire et vous expliquer les points faibles du jeu, ça n’est pas donné à tout le monde.
– il y a un auteur, un illustrateur, des gens qui travaillent derrière chaque jeu. Il faut faire attention à ce qu’on dit. Il est certain que dire « c’est de la merde » en parlant d’un jeu est irrespectueux. Au-delà de ça, et avec un minimum de vocabulaire, on peut tout à fait développer un point négatif dans un jeu. Ça n’est pas pour autant qu’un jeu n’est pas bien, ils sont loin d’être tous exempts de reproches ! Le signifier aux gens qui vont l’acheter avec leurs économies me parait autant important que de leur expliquer de façon argumentée ce qui ne m’a pas plu dans un jeu. C’est une question d’honnêteté. Le respect doit aussi l’être pour le joueur, qui est au final le maillon le plus important de la chaîne ludique, et il serait temps de le remettre au centre des préoccupations.
– je n’aime pas écrire ou partager sur un jeu que je n’ai pas aimé, je n’en vois pas l’intérêt. Cet « argument » ne tiendra plus une fois passé l’enthousiasme béat devant l’amas de sorties ludiques. Au bout d’un moment on devient plus exigeant, on se pose + de questions, on a + de points de comparaison, on commence à se demander si tel auteur n’en a pas marre de recycler encore et encore la même mécanique (pour certains la réponse est non), et surtout on commence à se dire que ça serait pas mal de donner un peu + de matière aux joueurs pour qu’ils aient un vrai ressenti sincère et détaillé avant de dire que ce jeu pourrait vraiment les intéresser.
Tous ces arguments peuvent s’entendre, le principal problème est quand ça concerne la majorité des blogueurs/reviewers/instagramers/etc … Cela se heurte principalement à l’amateurisme du milieu, et son état enfant/adolescent. A l’heure actuelle, tout est beau et tout le monde est gentil. Parfois même certains influenceurs participent à ce manque de clarté ludique lorsqu’ils travaillent dans le même temps pour un éditeur, font des posts Insta payés par les éditeurs, font des vidéos sponsorisées, … Chacun s’arrange avec ça, mais comment faire la part des choses sur Insta lorsqu’un post relaie la sortie d’un jeu ? Est-ce un post à l’initiative du joueur ? Est-ce à la demande et donc financé par l’éditeur ?
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Le joueur au centre de tout
Finalement, le point commun entre tous les blogs ? Ce sont des passionnés qui les animent et c’est déjà pas mal. Un autre point commun ? Je vais volontairement grossir le trait, mais à 90%, quand vous entendrez parler d’un jeu, ça sera de manière positive voire élogieuse.
Ceci étant dit, qu’est-ce qu’on fait pour ce joueur qui cherche à se renseigner sur son premier jeu ? Sur son 10ème ? Son 100ème ? Comment expliquer tant de bienveillance de la part des influenceurs ? Comment expliquer l’absence de critique ludique, ou appelez-la comme vous voulez ?
Déjà, ça n’est pas à la portée de tout le monde. Bah oui, aller développer son point de vue, son ressenti, peser le pour et le contre, ne pas hésiter à expliquer ce qui a plu, et ce qui a moins plu. Ça prend du temps, et il est tellement plus simple de ne parler que des jeux qu’on a appréciés, sans en relever les défauts. Tellement réducteur et limité aussi.
Je me pose personnellement cette question et essaie d’orienter le blog vers cette direction, considérant aussi avoir passé un cap depuis quelque temps, à savoir que cet enthousiasme béat est passé. D’adolescent vers adulte je disais plus haut. Au début tout est beau, tout est rose. Tellement de jeux sortent, tellement de nouveautés, et aussi tellement de « vieilleries » à essayer ! Puis vient le passage d’un cap. Se rendre compte qu’un jeu n’est pas fait pour soi, qu’il donne l’impression d’être fini à la va-vite, qu’il donne l’impression d’avoir déjà joué à ça en fait, mais en mieux, ou encore qu’il est vraiment plaisant à 4 mais alors ultra mou ou perd tout son sel à 2 joueurs. Passer ce cap, et ne pas hésiter à le dire, n’est pas donné à tout le monde.
En France, on fait de la très belle présentation de produits. TricTrac le faisait particulièrement bien, et Un Monde de Jeux a repris le flambeau. Insta est un vrai catalogue de jeux. Philimag vous donne envie chaque mois, et fournit un travail de dingue pour vous présenter une centaine de jeux par mois. De vrais passionnés qui ne comptent pas leurs heures pour vous parler de notre passion commune.l
Aucune note dissonante par contre. Et je pense que c’est néfaste.
J’en reviens au marché que je définis comme enfant ou adolescent. Afin de grandir, je suis persuadé qu’il faudra plus de « critique ludique » en bonne et due forme. Plus d’avis étayés, développés et sincères sur les jeux. A force de passer sous silence ce qui n’a pas plu dans un jeu, nous allons perdre des joueurs en route, qui sortiront frustrés d’une partie d’un jeu recommandé par 2 vidéos Youtube, 3 comptes Insta, 1 partie live Twitch et 12 posts Facebook comme étant le jeu exceptionnel.
Laissez passer 1dé6 mois et retournez leur demander si le jeu est toujours dans leur ludothèque, ou s’il est revendu ou s’il prend la poussière. Les réponses seront éloquentes, j’en suis certain.
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Pour finir sur une note plus légère, rassurons-nous, l’impact des influenceurs est somme toute assez limité, et ce questionnement qui m’anime vient surtout du fait que je baigne dedans, et que je ne vois certainement plus que ça. Chacun son prisme, et le monde ludique devrait s’en sortir sans peine. Reste maintenant à voir ce que les autres acteurs du monde ludique font avec cette multiplicité des sorties, cette communication à outrance, et ce marché qui grandit. On verra peut-être ça dans d’autres articles. Ou pas.
En tout les cas, à notre niveau, nous allons déjà nous mettre en recherche d’une autre boutique à soutenir et avec un autre système que l’affiliation en place avec Philibert. Ce système de « prime à l’achat » qui ne se déclenche que si les lecteurs achètent effectivement le jeu avec le lien du blog, ne semble pas plaire à tout le monde. Il n’est pas parfait et je conçois aisément qu’il puisse cristalliser une partie des remarques. Dont acte. Le système de notation a montré ses limites, comme démontré par les chiffres cités plus haut.