Cette critique a été rédigée à l’aide d’une boite fournie par l’éditeur que nous remercions.
Il y a trois types de joueurs quand on vient à parler des jeux de logique, ceux qui savent compter et les autres. Alors forcément, se frotter à un jeu comme Tiwanaku, qui derrière son graphisme très bucolique prendra un malin plaisir à frotter vos neurones à la paille de verre, ne procurera pas le même plaisir suivant la catégorie à laquelle vous appartenez. Mais si des jeux comme Cryptide ou A la Recherche de la Planète X vous font dresser les tétons (je ne juge pas), il y a des chances que le jeu de Sit Down ait attiré votre attention. Reste à déterminer si on parle bien de la même chose.
Ici, point de créature mystérieuse ou de planète inconnue à trouver, il va s’agir de deviner avant les autres la cartographie d’un plateau commun. Il faudra déterminer à la fois le type de terrain de chaque case, mais aussi son type de culture, plus prosaïquement un numéro entre 1 et 5. Evidemment, il existe des règles élémentaires pour réduire petit à petit le champ des possibles : règles de non-adjacence pour les cases de terrains regroupées en polyominos, mais aussi pour les cultures dont la numérotation est en outre liée à la taille du polyomino qui les accueille. On commence la partie avec quelques cases déjà révélées, et on va compter sur notre intellect supérieur pour en déduire le reste, mais aussi sur les autres pour nous donner des indices sans trop nous mettre des bâtons dans les roues.
Les photos montrent le matériel Deluxe.
Pousse-toi de là, que je m’y mette
Ici, plus que dans d’autres jeux du même acabit, le joueur va ressentir la pression mise par ses concurrents. En effet, pour deviner une case, il faut d’abord s’y rendre, c’est-à-dire faire cheminer l’un de ses 5 meeples tout mignons depuis le bord du plateau en passant par des cases déjà révélées ou occupées par d’autres de ses meeples. Il est interdit de traverser une case occupée par un adversaire, ils le savent, vous savez qu’ils le savent, ils savent que vous savez qu’ils le savent, et ils ont donc ce petit air satisfait en se positionnant de façon à vous bloquer l’accès à cette juteuse culture de niveau 5. Les salauds.
Il y a en effet deux façons de marquer des points : révéler une tuile terrain (l’exploration, qui se fait de façon automatique lorsque votre meeple s’arrête sur une case vide), ou deviner la bonne culture (la divination, qui rapporte clairement beaucoup plus). On s’aperçoit rapidement que la différence avec les autres joueurs va dépendre de notre capacité à planifier ces « divinations ». Deux raisons qui poussent à l’optimisation : une seule action de divination peut permettre de récolter d’un coup les points de plusieurs cultures, à condition de deviner juste à chaque fois ; et chaque culture correctement prédite rapporte le token associé qu’on pourra ensuite dépenser avec ses petits copains pour gagner des points supplémentaires en fonction du nombre de tokens différents. Et tout se joue là.
Comme on ne peut conserver qu’un seul token de chaque type à tout moment, il est bien plus rentable de tenter à chaque divination de deviner le plus de cultures différentes. Tiwanaku demande donc de planifier nos actions et nos déplacements en plus de l’exercice de logique assez classique qu’il impose. L’interaction n’est pas très poussée, mais elle est suffisante pour rendre l’expérience de jeu bien plus tendue qu’un Cryptide, qui n’est finalement qu’une course à celui qui conceptualisera le mieux et le plus rapidement les différentes informations à disposition. En effet, il faut ici tenter de se positionner le plus vite possible sur des cultures qu’on suppose différentes, et bloquer l’accès aux autres joueurs, alors qu’on n’a encore qu’une vague idée de l’agencement des tuiles.
Dans la vallée andine, personne ne vous entendra pleurer
Tiwanaku a donc une vraie composante jeu de société qui pouvait manquer dans des jeux de déduction pure comme Cryptide ou Turing Machine. Le fait que toutes les informations soient connues de l’ensemble des participants déporte la compétition entre les joueurs sur la gestion du plateau et de ses meeples, l’exercice de déduction devenant une composante du gameplay parmi d’autres et non plus son alpha et son oméga. Il faut quand-même avoir l’habitude de ce genre de gymnastique mentale, l’expérience risquant autrement d’être très douloureuse.
Les modes solo et coopératif tentent de reproduire au mieux cette gestion des déplacements et des blocages, et confrontent les joueurs à un bot dont les meeples vont bouger en fonction des flèches affichées sur les tuiles terrain qu’on pose au fur et à mesure sur le plateau. Comme le bot ne s’arrête que lorsque son meeple arrive sur une case vide, et qu’il gagne alors immédiatement les points du terrain et de la culture, il a rapidement une quarantaine de points d’avance sur les joueurs. A eux de déterminer soigneusement quelle case explorer en premier, quel meeple du bot ils peuvent se permettre d’activer, sachant qu’il y a quand même une grande part d’aléatoire (notamment au début, quand on est loin de pouvoir déduire la cartographie du plateau) dans leur comportement et donc dans le total de points concédés à chaque action. Cela donne un bot qui se classe plus dans la catégorie « force brute » que « puzzle subtil », mais le défi est intéressant (et difficile).
Garçon, y a une tour dans mon sudoku !
Au final, il serait facile de recommander Tiwanaku aux joueurs qui cherchent un jeu dans la même veine que Cryptide ou A la Recherche de la Planète X. Ne croyez pas les charlatans qui le feront. Ici, au Labo des Jeux, nous savons la vérité. Après des heures passées à tester les différents jeux sous toutes les coutures, des journées le nez plongé dans les règles, des mois d’analyses, la conclusion s’est imposée, irrévocable, monolithique : c’est pas tout à fait pareil quand même. Ces derniers proposent essentiellement des défis logiques plus corsés, différents d’une partie à l’autre, et dont la difficulté est d’ailleurs modulable. Pensez par exemple aux indices négatifs de Cryptide ou aux derniers niveaux de Turing Machine, ou plutôt ne le faites pas si vous voulez éviter que vos cellules grises entrent en combustion spontanée. A l’inverse, cette difficulté est toujours la même dans Tiwanaku, et la rejouabilité et la difficulté viennent surtout du comportement des autres joueurs. La proposition de gameplay est clairement différente. On est entre gens de bonne compagnie, alors je vais vous faire une confidence : au-delà de la comparaison obligée avec le sudoku, j’y vois aussi une partie d’échecs.
Du coup, je ne suis pas séduit par Tiwaniku autant que je l’espérais. Ne vous y trompez pas, le jeu est facile à prendre en main, joliment illustré, le matériel est de qualité avec notamment la roue qui gère la vingtaine de setup différents, et remplit parfaitement le but qu’il s’était fixé. Le seul reproche que je pourrai lui faire concerne les modes coop et solo qui auraient pu être un peu moins brutaux, mais c’est peut-être moi qui suis juste mauvais. Ouais, les échecs, ce n’est vraiment pas mon truc. C’est d’ailleurs sûrement pour ça que je vais lui préférer un Cryptide ou un Turing Machine, qui offrent des challenges avec lesquels je suis plus à l’aise, plutôt que la guerre de positionnement qui attend celui qui ouvrira une boite de Tiwanaku. Mais il s’agit ici de goûts personnels, et je n’ai aucun doute sur le plaisir qu’auront des joueurs avertis à arpenter les terres fertiles du peuple quechua.
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