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“Vous êtes quand-même un peu des adulescents, non ?”
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La sentence est tombée comme un couperet avec, dans le rôle du bourreau, la compagne d’un ami joueur. En tant que passionnés de jeux de société, nous serions des adulescents. J’avoue ne pas avoir beaucoup apprécié la remarque. J’aurais pu simplement écarter cette étiquette qu’on essaye de me coller. La considérer comme un jugement à l’emporte-pièce qui ne repose sur rien d’autre que des préjugés idiots et m’arrêter là. Mais j’ai quand-même voulu creuser un peu. Voir si une part de vérité ne se cachait pas derrière ce qualificatif d’apparence complètement idiot.
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Déjà, d’où vient ce néologisme ? Adulescent est un mot-valise issu de la contraction d’adulte et d’adolescent. Il semble qu’il soit, à l’origine, la traduction maladroite de kidult, un terme né dans des milieux publicitaires, qui définit des hommes et femmes ayant conservé une appétence pour des produits liés à l’enfance (bonbons, dessins animés…) et associeraient dans leur comportement de consommateur les caprices de l’enfance et le portefeuille d’une grande personne.
Son sens a ensuite été étendu par différentes personnes (sociologues, psychanalystes, journalistes…) et de manière sensiblement différente. On garde le principe de base, un individu ayant atteint l’âge adulte tout en gardant des caractéristiques de la période adolescente (voire infantile) et on y colle un peu ce qu’on veut. Ce qui définit un comportement adulte d’un comportement plus immature va dépendre beaucoup de la thèse de l’auteur qui s’est emparé de ce mot.
Comme Tony Anatrella, un psychothérapeute et prêtre catholique connu pour ses positions très conservatrices. Il a notamment animé des thérapies de conversion dont le but est de modifier l’orientation sexuelle des personnes gays. Au moins depuis 1988 et la sortie de son livre Interminables Adolescences, il considère les mœurs modernes comme le témoignage d’une immaturité qui perdure à l’âge adulte. Sans surprise, il a repris abondamment la notion d’adulescent dans ses essais et interventions publiques. Au point d’en revendiquer faussement la paternité.
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Qu’est-ce que tout ça à voir avec moi ? J’ai bien peur que si ma passion avait été la chasse, la guitare ou le point de croix, je n’aurais pas eu le droit à ce genre de réflexion. Il faudrait peut-être arrêter avec cette idée que jouer nous permettrait de renouer avec l’enfant qui est en nous. En tant qu’adulte, nous ne jouons ni aux mêmes jeux, ni de la même manière. Et ce n’est pas un jugement de valeur ! En tout cas pas de la manière dont vous l’imaginez. Je pense, au contraire, que nous avons tous beaucoup à apprendre de l’enfant et de son jeu, certes chaotique mais aussi plus franc, plus libre et moins complexé.
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Cette idée reçue tenace n’explique pas tout. Rappelez-vous, sa définition première (et publicitaire) définissait l’adulescent comme un consommateur déraisonnable. Un trait qui n’a rien à voir avec la pratique du jeu en lui-même mais qui parlera aux passionnés que nous sommes. Je m’étonne d’ailleurs de ne pas trouver, dans les essais qui ont repris ce terme à leur compte, de chapitres sur les méthodes marketing de plus en plus travaillées pour nous pousser à l’achat comme l’utilisation à outrance du champ lexical de l’irrésistibilité dans les publicités. Tellement fréquente que nous nous en sommes emparés.
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Il faudrait peut-être arrêter d’ailleurs. Arrêter d’exposer nos piles de la honte, de nous amuser d’avoir craqué pour une nouvelle boite et que, oh là là, qu’est-ce qu’on va prendre quand notre banquier/banquière/conjointe/conjoint (rayez les mentions inutiles) va l’apprendre !
Il faudrait peut-être arrêter de faire de notre immaturité un marqueur d’identité sociale. Nous sommes des joueurs, nous n’avons pas besoin de le prouver.
Si nous sommes des adulescents (si tant est que ce mot ait véritablement un sens) ce n’est pas tant par notre manière d’occuper nos loisirs que par notre manière de les consommer.
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Teaman.
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