L’édito du Labo #2 – Vous n’aimez probablement pas le Monopoly pour les bonnes raisons

par | 5 Nov 2023 | News | 1 commentaire

Tous les joueurs détestent le Monopoly. C’est comme une poignée de main secrète, un argot bien à nous, un signe de reconnaissance. La preuve d’être un 100% pur joueur.

Il faut dire que nous, joueurs, avons quelques bonnes raisons de ne pas porter ce jeu dans notre cœur. Historiquement, avant que geek becomes the new black et que le jeu de société ne soit inclus dans cette sous-culture, lorsqu’on parlait de notre hobby on avait le droit à ça : “Le jeu de société ? Ah ouais, le Monopoly. Je connais.”.

l

Image: Neil Scallan

l

l

Je hais donc je suis

l

Pour une majorité de la population, l’univers pourtant foisonnant du jeu de société moderne se résumait à “ne passez pas par la case départ, ne recevez pas 20.000 francs”. Pour les joueurs par contre, le Monopoly était un jeu daté, pour ne pas dire décrépit, trop hasardeux, trop long. Bref, très loin des nouveaux standards qu’étaient Les Colons de Catane, Citadelles, Carcassonne ou les Aventuriers du Rail, pour ne citer qu’eux.

Mais ce jeu que plus personne ne veut et, du coup, auquel plus personne ne joue est-il aussi mauvais qu’on le dit ?

Il y a quelques années, pour une vidéo youtube tombée dans l’oubli, j’avais ressorti ma vieille boîte de l’armoire. Comme tout le monde, ma dernière partie datait de mon enfance et comme Saint Thomas j’allais glisser les doigts dans les stigmates du martyr du bon goût ludique.

Après quelques parties, le résultat fut sans appel. Oui, le Monopoly et ses mécaniques ont vieilli mais la plupart des critiques à son encontre étaient très exagérées. La durée par exemple. Nos parties n’ont jamais excédé une heure et demie. A partir du moment où l’on suit les règles originelles, que l’on met aux enchères les rues qu’on ne veut ou ne peut pas acheter et que la banque ne fait pas crédit, la faillite arrive finalement assez vite. Cela reste trop long pour un jeu familial mais loin des parties interminables qu’on lui reproche généralement.

Quant au hasard tant décrié, il n’est pas si choquant. Une part d’aléa permet à chacun et chacune d’avoir la possibilité de briller, peu importe son niveau. D’autant que le hasard est contrebalancé par une mécanique de transaction. J’avais entendu le champion de France du Monopoly (Oui, ça existe.) affirmer dans une interview que, face à lui, un débutant n’avait absolument aucune chance de gagner. Je veux bien le croire. La maîtrise de l’échange, faire une offre au bon prix, de la bonne manière, au bon moment, est indéniablement un aspect essentiel du jeu.

D’un point de vue purement mécanique, le Monopoly est certes dépassé mais n’est pas l’horreur tant décriée dans les hautes sphères du Gotha ludique. Pourtant, il reste aussi mauvais qu’on le dit mais pour une tout autre raison.

l

l

“Regardez comme c’est drôle, on peut dépouiller ses parents !”

l

L’histoire de l’origine du Monopoly commence à être connue. Du coup, je vais faire court.

En 1904, une dame du nom d’Elizabeth Magie crée le jeu The Landlord’s Game. Son but, dénoncer les effets de la confiscation des terres par un petit groupe de riches propriétaires. Des versions bricolées de ce jeu circulaient librement dans les milieux universitaires avec l’aval bienveillant de son autrice. En 1931, Charles Darrow découvre le jeu et décide de se l’approprier. Il modifie deux, trois choses, le renomme Monopoly et, au passage, trahit totalement son message initial.

Cette genèse d’un jeu volé à une femme pleine de bonne volonté par un homme désireux de se faire de faire du pognon, hante encore le jeu aujourd’hui.

Pendant l’une de nos parties tests, nous avons joué avec un ami et sa fille de 9 ans. En fin négociateur, il l’a poussé à faire des échanges clairement défavorables et deux tours plus tard elle devait lui céder l’ensemble de sa fortune. Il était là, à compter ses billets d’un air satisfait sans se rendre compte qu’elle avait les larmes aux yeux.

Oui, il aurait dû faire plus attention aux sentiments de sa fille mais quelque part, il a fait précisément ce que le jeu lui demandait de faire pour gagner. Parce que ce qui frappe le plus lors d’une partie de Monopoly, c’est sa cruauté.

Dans le monopoly, on ne gagne pas parce qu’on a le plus d’argent, on gagne parce que les autres n’en ont plus. Et on ne se contente pas de profiter de leur déveine ou de leurs décisions malheureuses. Il faut les pousser nous-mêmes à la faillite en les obligeant à payer des loyers exorbitants et en leur faisant des offres qui se retourneront contre eux quelques jets de dés plus tard.

D’habitude j’aime bien ces mécaniques d’interactions vicieuses. Le Dune de 1979 avec son lot de coups bas et de trahisons est l’un de mes jeux préférés. La différence c’est qu’on y joue des factions aux prises dans un conflit politico-militaire. On sait d’office que ce qu’on va faire va être sale et on est entre adultes consentants.

Le Monopoly est pensé pour être joué avec nos enfants et simule le fonctionnement de notre société. C’est même comme ça qu’il a été pensé à l’origine. La négociation est déjà une mécanique complexe à appréhender pour les plus jeunes mais là est rendue brutale par le fait que, d’une part, on va souvent subir directement les conséquences d’une transaction mal menée et, d’autre part, le thème rend cette conséquence plus réaliste. On ne joue pas une nation d’un univers fictionnel, on joue nous-même dans un contexte terriblement proche de notre quotidien.

Facile de comprendre pourquoi tant de monde a de mauvais souvenirs du Monopoly. Je pense même qu’une partie des variantes créées par les joueurs au fil des années ont été pensées, consciemment ou non, pour atténuer la cruauté du jeu. “Oh quelle chance, tu es tombé sur le parc gratuit, tiens récupère l’argent des amendes que tu as prises tout à l’heure !”.

l

l

Le joueur est un loup pour l’autre

l

Comment comprendre alors son immense succès ? Difficile à dire. Le Monopoly de Darrow est apparu dans une Amérique en pleine crise financière. Peut-être a-t-il servi d’exutoire à une population qui vivait cette violence économique au quotidien. Les gens avaient peut-être besoin d’extérioriser, de reprendre le contrôle. De devenir le temps d’une partie l’un de ces richissimes hommes d’affaires qui avaient su profiter des “opportunités” offertes par la Grande Dépression. Le Monopoly ne propose finalement rien de plus que le rêve américain, devenir riche par ses propres actions. Il écarte juste ce que The Landlord’s Game voulait démontrer ; pour gagner beaucoup d’argent, il faut que d’autres en perdent beaucoup.

Cette hypothèse ne vaut pas grand-chose. Ça reste de la psychologie de comptoir un jour de cuite. Une chose est sûre, le Monopoly est aujourd’hui devenu un totem culturel. Quelque chose que toute famille possède et qu’on offre sans vraiment y jouer. Il reste l’image du jeu de société pour la plupart des gens. Même si c’est peut-être un peu moins vrai aujourd’hui qu’hier.

Il en est bien sûr un mauvais émissaire mais si on lui reproche ses mécaniques, en vérité, le vrai problème du Monopoly n’est pas là. C’est un jeu aux interactions beaucoup trop malsaines pour le public qu’il vise. Il ne correspond pas (plus ?) aux attentes qu’on a d’un jeu familial.

Le Monopoly n’est pas un mauvais jeu pour ses mécaniques mais pour ce qu’elles poussent à faire et ce qu’elles nous font ressentir. Sa violence liée à son thème, très proche de la réalité, en font un jeu pas inintéressant mais juste désagréable ludiquement parlant. Il n’a pas été pensé à la base pour être joué avec autant de légèreté et ça se ressent.

l

Teaman.

l

l

1 Commentaire

  1. Gnocchi-flette

    Entièrement d’accord.
    Je dirais même que ce jeu est dangereux pour nos jeunes futurs adultes. Quel terrible exemple de notre monde. Autant directement créer un jeu pour les moins de 6 ans qui prouve que le père Noël n’existe pas !

    Réponse

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :