Je vais vous faire une confidence, je suis plus intéressé par le joueur que par le jeu. Bien que j’en fasse partie, je n’ai pas beaucoup de respect pour l’espèce humaine mais je suis fasciné par sa capacité à prendre au sérieux une activité qu’elle sait pertinemment frivole et inutile. Sérieusement, il se passe quelque chose de magique quand l’Homme se met à jouer. Mais si, pour moi, il entre au second plan, je dois bien admettre que le jeu auquel on joue peut influencer notre comportement ludique.
C’est pour ça que j’ai voulu m’intéresser un peu aux joueurs d’un genre que je connais et pratique assez peu, le jeu de figurines. Pour les ludistes (c’est-à-dire les joueurs de jeux de société) les figurinistes sont une espèce un peu à part. Ils ont leurs propres points de vente (comme les fameuses boutiques Games Workshop, rebaptisé Warhammer depuis quelques années), leurs propres clubs, leurs propres événements comme le French Wargame Day dont la dernière édition, qui a eu lieu à Grenoble, a rassemblé plus de 1500 joueurs sur deux jours. Même lors des festivals “généralistes” les activités restent souvent cloisonnées.
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Des joueurs à part ?
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On voit souvent les figurinistes comme des joueurs exclusifs. Ils ne se consacrent qu’à un seul jeu. Il faut dire que le jeu de figurines est une activité exigeante à plus d’un titre. Le hobby prend du temps car il ne se limite pas au pur aspect ludique. En plus de règles souvent riches et complexes à apprendre, il faut ajouter l’aspect modélisme avec le montage et la peinture de figurines et de décors. Tout ça prend du temps et coûte cher, très cher. Le jeu de figurines est probablement la passion ludique la plus onéreuse de toutes.
Il existe malgré tout des moyens de rentabiliser sa collection de décors et de figurines tout en renouvelant son expérience ludique. Grâce à des chaînes youtube comme Papa Wargamer ou T’as Gueule On Joue (à qui je décerne en toute illégitimité le prix du meilleur générique des chaînes de wargames), j’ai découvert des joueurs pluralistes qui n’ont pourtant pas le temps et l’argent de rentiers millionnaires. Un petit exploit rendu possible grâce aux jeux de figurines généralistes ou “agnostiques”. Comme les jeux de rôles sans univers, il existe des wargames sans gammes de figurines associées. Des jeux comme SAGA ou Mars Code Aurora, vous proposent de réutiliser vos vieilles figurines en jouant des règles différentes.
À côté de ça, la démocratisation des imprimantes 3d a permis la création de petites entreprises proposant des gammes de figurines alternatives (légèrement) moins chères que celles produites par des entreprises plus installées comme le géant Games Workshop (Warhammer 40k) ou ses principaux concurrents, Mantis Games (Kings of War) ou Corvus Belli (Infinity). Les premières versions en résine étaient médiocres mais la qualité s’est nettement améliorée et aujourd’hui, sans atteindre les niveaux de qualité des ténors, elles sont des alternatives tout à fait honnêtes.
Les figurinistes sont connus pour ne pas être des joueurs très agréables. Pointilleux et compétiteurs à la limite de la mauvaise foi. Apparemment, ils ont dû se rendre compte de leur mauvaise réputation et semblent faire beaucoup d’efforts pour améliorer l’état d’esprit du milieu. La volonté d’inclusion est plus grande et ça se sent dans la pratique. Le mode en partie est à l’annonce d’intention, les joueurs déclarent ce qu’ils veulent faire durant leur tour afin de ne pas prendre l’adversaire en défaut et discutent tout de suite si une situation paraît litigieuse au lieu de mettre l’autre joueur sur le fait accompli. Il est également de coutume, lors des parties amicales, de jouer “avec” plutôt que de jouer “contre”. On demande l’avis de l’autre joueur et on réfléchit ensemble au meilleur coup à jouer. Même si cela n’empêche de tomber sur des joueurs pénibles, ceux qui ne prennent pas le pli de cette manière de jouer plus cordiale sont souvent rappelés à l’ordre.
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Marteau de guerre et poule aux œufs d’or
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Lors de mon petit tour du wargame, je me suis bien sûr tourné vers le premier d’entre eux. Warhammer 40.000.
Pour ceux qui l’ignore, Warhammer 40k est un jeu de figurines le plus populaire au monde. On y joue l’armée d’une des nombreuses factions du jeu dans un univers de science-fiction gothique qui dépeint un futur lointain (celui du 40ème millénaire) extrêmement sombre et dictatorial tout en s’inspirant de la fantasy tolkienienne. En gros, des elfes décadents se mettent sur la tronche avec les élus génétiquement modifiés d’une théocratie militaire.
C’est aussi une machine à cash pour Games Workshop. Cet éditeur est de très très très loin le plus gros dealer de kilo-plastique de l’univers connu. Il est même considéré comme l’une des plus grosses entreprises du luxe au Royaume-Uni.
Quand je regarde les réactions des joueurs de GW de l’extérieur, je les trouve incroyablement indulgents avec leur fournisseur de bonheur ludique.
La dixième version de leur jeu phare est sortie il y a quelques mois. La toute première datant, tenez-vous bien, de 1987. On pourrait se dire qu’avec ce paquet d’années d’expérience, ils seraient capables de sortir un jeu aux petits oignons dans des conditions de lancement parfaites. D’autant que GW n’a pas vraiment de problème de budget. Et pourtant.
Les débuts de cette version sont entachés de problèmes d’approvisionnement, de règles mal testées, bourrées de trous et de fautes, de factions très mal équilibrées, d’une communication certes en voie d’amélioration, mais encore défaillante sur de nombreux points.
Tout autre éditeur du monde ludique qui sortirait un jeu dans cet état peut dire adieu à sa communauté. Elle irait tout simplement voir si l’herbe des champs de batailles n’est pas plus verte ailleurs. Mais ce n’est pas parce qu’on a du mal à comprendre une pratique que tous ses passionnés sont des malades mentaux. Sinon il faudrait enfermer tous les joueurs de curling.
Comment expliquer alors cet attachement si fort aux produits Games Workshop ? Il y a certainement un biais d’engagement. Vous vous êtes déjà tellement investi financièrement, ludiquement, intellectuellement, émotionnellement dans ce jeu qu’en changer peut paraître difficile. L’autre raison matérielle, ce sont les joueurs. Si vous décidez de changer, il faut soit réussir à convaincre votre cercle ludique, soit en changer totalement. Ce qui n’est pas si simple.
La dernière raison que je vois est encore plus basique. Ils y trouvent leur compte. Warhammer 40k a un univers si foisonnant, une gamme de figurines si belle et fournie et un système qui malgré ses défauts continue à tenir la route avec des unités et des factions très différentes qui renouvellent sans cesse l’expérience de jeu.
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Là-bas, il n’y a que la guerre mais en plus gentil
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Je dois l’avouer, j’avais gardé de mes années adolescentes une assez mauvaise image du joueur de figurines. Fermé, mauvais joueur, pinailleur… J’avais dans l’idée que cette activité était plutôt réservée aux joueurs très compétitifs mais en m’y penchant de nouveau, j’ai découvert un milieu en voie d’évolution vers une pratique prônant plus d’ouverture et de fair-play. Au point que je me suis même acheté quelques figurines pour faire de l’escarmouche. Mais bon ça coûte toujours un bras.
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