Depuis que j’ai atteint l’âge adulte, je suis malade. Une malade discrète, surtout pour les autres. Le genre dont on ne guérit jamais mais, avec le bon diagnostic et les bons médocs, on peut vivre avec. Merci la médecine moderne.
Le nom de cette maladie, il s’est passé plus de dix ans avant que je l’apprenne. Le temps de comprendre que quelque chose en moi ne tournait pas rond puis que les médecins se mettent d’accord. En attendant, mon esprit s’est trouvé une béquille.
Le jeu de société
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Tout récemment, je suis tombé sur une étude passionnante. Elle analyse les réponses à un questionnaire donné à un panel de plus d’un milliers d’aficionados du jeu de plateau. On y découvre notamment que les autistes ou les personnes atteintes de troubles anxieux sont surreprésentés parmi les joueurs. Certains en ont rapidement conclu que le jeu pouvait avoir un intérêt thérapeutique. C’est aller un peu vite en besogne.
Le jeu ne soigne pas l’esprit. Pas plus qu’une béquille ne soigne une jambe. Il aide, il permet d’oublier. Il divertit.
Lorsqu’on se penche plus attentivement sur cette étude. On voit que les autistes jouent principalement seuls à des jeux de réflexion et les personnes sujettes à l’anxiété sociale à des jeux d’ambiance. Ils n’attendent pas que le jeu les soignent mais qu’il les réconforte. Dans les jeux solitaires, les autistes trouvent la quiétude hors du monde social qui leur demande tant d’efforts. Dans le cadre du jeu, les personnes anxieuses nouent des relations sociales éloignées de tout enjeu sérieux, potentiel source de stress.
Ils cherchent la déconnexion. S’évader, le temps de souffler un peu avant de rejoindre ce réel parfois si pénible.
Le jeu ne m’a pas guéri. Il ne m’a pas non plus soigné. Il m’a simplement offert du temps loin des affres de la maladie. Du temps sans lequel, ma volonté aurait sans doute cédé comme elle a manqué de le faire de nombreuses fois.
Tout ce qui va suivre est une réflexion personnelle. C’est une opinion qui n’a pas d’autre l’ambition que d’énoncer mon ressenti et non une vérité absolue. Internet semble nous le faire oublier, nous avons le droit de ne pas être d’accord, d’avoir des idées, des perceptions, des convictions contraires sans s’envoyer des noms d’oiseaux sous forme de tweet ou d’autres choses.
J’ai le plus profond respect pour vous et si à la fin de votre lecture, vous n’êtes pas convaincu par ma prose mon respect restera le même. J’espère que vous ferez de même pour moi…
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En tant que joueur, je pense avoir connu l’âge d’or du jeu de société. Une époque où on attendait la sortie annuelle des éditeurs que l’on aimait, où l’on pouvait jouer à tout ce qui sortait sans avoir ni l’argent, ni le temps libre d’un rentier millionnaire. Les auteurs étaient des explorateurs qui tentaient des choses, se foiraient souvent mais nous offraient parfois des petits bijoux d’originalité ludique. Les bons jeux étaient vraiment bons. Les jeux mauvais, vraiment mauvais mais tous étaient sincères. Les pires sorties n’étaient pas le produit d’un mesquin calcul financier ou d’un travail à la chaîne mais d’un aveuglement. Ce genre de jeu qui devait amuser son créateur et ses copains mais qui n’auraient jamais dû franchir le rubicon de l’édition.
Cette époque est révolue. De nos jours, les éditeurs se sont mis en tête (à tort ou à raison) que pour survivre il fallait produire. Il faut sortir du jeu pour exister sur les étagères des boutiques et les fils des influenceurs. Même si les étals débordent et les influenceurs sont débordés, incapables de gérer la masse de jeux créés par cette hyperproduction. Les éditeurs doivent gérer entre des temps de production de plus en plus serrés et des attentes des joueurs de plus en plus importantes.
Pour se démarquer, la plupart misent plus sur la forme que sur le fond. L’effet “Wahou!” est souvent privilégié aux longues phases de tests et aux peaufinages de règles.
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De leur côté, les auteurs se sont professionnalisés. Ils se regroupent, s’organisent à la fois pour défendre leurs intérêts et pour profiter de l’émulation collective et perfectionner leurs protos. Et ça a l’air d’avoir augmenté la qualité de ses derniers. Les règles proposées aux éditeurs sont plus propres et les mécaniques moins cassées. Le revers de la médaille, c’est un manque d’innovation. Si on veut “faire carrière” dans la création de jeux, il faut publier un maximum de jeux. Et pour ça, les auteurs ont établi des stratégies en proposant des protos correspondant aux attentes des éditeurs. Ils ne créent plus pour eux ou pour des joueurs, ils produisent pour des éditeurs et leur vision du marché. Il faut rentrer dans des gammes, réfléchir en amont aux contraintes matérielles, se soumettre aux logiques de production. La conséquence, pour nous joueurs, c’est une offre de jeux qui s’uniformise. En suivant tous le modèle du jeu “qui marche”, tous les jeux finissent par se ressembler.
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Je ne sais pas pour mes collègues mais, en ce qui me concerne, plus les années avancent et moins j’ai de coup de cœur. Des jeux qui m’épatent et m’impressionnent. Les boîtes restent de moins en moins longtemps sur mes étagères. Elles subissent un turnover cruel. Enfin… “Subissait” parce que je me suis lassé de cette valse incessante. Plus l’offre augmente, plus mes achats baissent. Plus s’accroît mon désir de me concentrer sur un petit panel de jeux assez originaux et bien foutus pour avoir envie de les épuiser jusqu’à la corde.
Fort de sa popularité grandissante, le milieu du jeu de société est passé de l’artisanat parfois un peu foutraque à la logique industrielle. Ça a ses bons côtés, il y a moins de jeux complètement pétés et les conditions des auteurs semblent s’être améliorées. Malheureusement, on a aussi perdu des choses. L’originalité, la sincérité, l’authenticité. Des qualités difficiles à évaluer mais qui forgeait un rapport différent du joueur au jeu et à ses acteurs. Certains éditeurs se plaignent du clientélisme des joueurs actuels mais est-ce vraiment de leur faute ? N’est-ce pas juste un signe du temps ? Une époque qui se termine.
Ça faisait quelques mois que j’y pensais régulièrement, et le FIJ venant de se terminer, ça a accéléré de finir de coucher à l’écrit ce texte que j’intègre dans nos éditos mensuels. Résultat d’observations de ma part, d’étonnements, de questions devant les différents posts, les vidéos, les comptes insta, les tweets etc. Pourquoi tant de ressemblance ? Pourquoi, au final, le sentiment de lire/voir peu ou prou la même chose ? Le monde du jeu transpire la fausse bienveillance, et il était temps que les abus de langage des autres milieux ne le rattrapent. On me dit dans l’oreillette que ça fait déjà quelques temps que c’est le cas, et qu’il est temps que je me réveille. Soit.
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ndlr : les images sélectionnées pour illustrer les éléments de langage ne sont un rien un jugement sur un contenu de la part de ces influenceurs, et servent uniquement à illustrer l’expression décrite dans le paragraphe.
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Le jeu tourne bien
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Je commence par cette « belle » expression. Ça veut tout et rien dire en même temps, c’est magique. C’est pourtant tellement facile à sortir, ça en devient parfois un réflexe, ça meuble une conversation, gagne du temps entre 2 développements (ou aucun développement d’ailleurs), et surtout ça s’utilise à toutes les sauces. Je l’utilise aussi, je m’aperçois que ça vient souvent sans y penser vraiment. Alors t’en dis quoi de ce jeu ? Ouais ça tourne bien ! Et là normalement on est sensé attendre la suite. Qu’on explique pourquoi justement ça tourne si bien.
Demandons-nous un instant ce qu’est un jeu qui ne tourne pas. Je pense naïvement que c’est un jeu dont le déroulé se bloque à un moment ou un autre de la partie. Les mécas ne fonctionnent pas entre elles, l’équilibrage n’est pas bon, et à un moment plus ou moins avancé de la partie, plus rien ne fonctionne et on se retrouve littéralement bloqué. Un jeu pas fini donc, pas développé, bancal et tout ce que vous voulez. Logiquement ça ne passe pas le bureau d’un éditeur, ou les tests entre amis/famille/festivals.
Bref, le jeu qui tourne s’applique à 90% au bas mot de ce qui sort aujourd’hui. Pourquoi donc cette expression est-elle autant utilisée et se retrouve si souvent et presque partout ?
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« Salut les amis !«
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Oui vos abonnés/lecteurs/viewers sont vos amis c’est bien connu. On me répondra que c’est pour la proximité, c’est le côté cool et proche. Je ne l’ai jamais compris puisque j’ai une définition du terme ami qui correspond pour commencer à quelqu’un que je connais et que je peux au minimum contacter directement par un outil maintenant dépassé, à savoir un appel téléphonique.
Mais pour construire sa communauté, il faut la cajoler, l’intégrer à son propos, et lui faire sentir son importance. D’où l’usage de ce terme « ami ». Pourquoi pas.
Ça me gêne un peu plus quand l’influenceur qualifie tous les auteurs et éditeurs d’amis. A un moment, soit on se définit comme un relais de communication de ces éditeurs et auteurs, soit on essaye de garder une certaine distance et relayer son propos et son ressenti, et non le communiqué de presse reçu par mail. Donc quand je vois « ce jeu de mes amis de (citez n’importe quel éditeur) », je me dis que l’influenceur partage des bières, barbecue, vacances régulièrement avec cet éditeur. Oui je sais, je suis naïf. Loin de moi l’idée que cet élément de langage est utilisé pour les cajoler, les intégrer à son propos, et/ou leur faire sentir leur importance…
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Coup de cœur
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Certainement le terme le plus galvaudé du monde de l’influence. C’est à se demander s’il a encore une valeur, tellement 2 tours d’un jeu expliqués par un éditeur en festival suffisent à provoquer ce coup de cœur, et à le relayer sur les réseaux. Certains influenceurs ont tellement de coups de cœur que cette profusion d’enthousiasme et de détection de jeux géniaux doit être épuisante pour un cœur humain normal. Mais encore une fois je fais certainement fausse route en pensant qu’avoir un coup de cœur implique d’être effectivement subjugué par un jeu, ne faire qu’y penser jusqu’à la prochaine partie, me refaire le déroulé de la partie pendant plusieurs jours, et n’avoir qu’une hâte c’est d’y rejouer. Et normalement ça ne fait pas ça à chaque jeu joué. Mais c’est de ma faute, plus je prends de l’âge, plus j’écris sur les jeux, plus je vois ce monde ludique, plus je m’écarte de cette route si facile à prendre. Les mots ont un sens, et je suis certainement un vieux con pour ça.
Je pense que l’important est que cette propension au coup de cœur soit mesurée, afin que, quand j’hurle au coup de cœur, on comprenne que ça en soit un pour moi, mais vraiment ! Et pas le coup de cœur de la semaine ou du mois, ce qui enlève tout le sens de cette expression.
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Le drame des chiffres/abonnés/viewers
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Je pense que la plupart des gens qui utilisent les mots à tort et à travers ne le font pas sciemment. Le monde numérique qui nous entoure récompense l’utilisation des mots impactants. Une vidéo dont la miniature n’est pas dans la norme, ni le titre ne comportant pas d’éléments forts et qui attirent l’attention recevra 10 ou 100 fois moins de clics que cette même vidéo avec un titre putaclic comme on dit. C’est les algorythmes et le cerveau humain qui consomme des vidéos et des posts insta qui veulent ça. On regarde plus la forme que le fond, et c’est fort dommage. N’allons pas sur le terrain d’instagram, d’autres en ont parlé et y ont laissé des plumes.
En tout cas, c’est devenu une sorte de système d’alerte pour moi. C’est même un répulsif au final. Je regarde déjà quels sont les éléments de langage utilisés, quelles images, quels termes, quelles couleurs. Quel est le message qu’on essaie de me faire passer en premier lieu ? S’il est trop chargé, trop impactant, ou que je flaire le putaclic… je ne clique plus.
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J’essaie aussi d’épurer notre communication au Labo. Nous avons fait des tops comme tout le monde, nous avons abusé d’éléments de langage. Après toutes ces années, et surtout une fois que l’on sait ce qu’on veut et ce qu’on ne veut plus faire, il est plus facile de se l’appliquer. Mais je rajouterai que je n’ai pas de jeu à faire signer par un éditeur, ni envie de travailler dans le monde du jeu, ni besoin de mon blog pour vivre, et pas besoin des SP. C’est finalement peut être la meilleure position.
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Allez tout ceci n’est bien sûr pas à prendre comme une distribution de bons ou mauvais points, et je nous inclus dans la réflexion. L’important est je pense de s’en rendre compte, et surtout de développer notre communication. Oui, le jeu il tourne bien, mais ça veut dire quoi pour toi finalement ?? ^^