Test : Chats de poche

Test : Chats de poche

Chats de poche est un jeu de confrontation à deux. 25 tuiles sont placées en carré dont une seule visible. Parmi elles, il y a nos chats, les chats de l’adversaire, les chiens (qui nous mangent) et nos proies (que l’on mange). A chaque tour, nous révélons et déplaçons une tuile selon sa nature (les proies bougent moins que les chiens, par exemple). Pour gagner il faut, qu’une fois toutes les tuiles révélées, nos chats soient adjacents aux proies et aient échappé aux chiens.

Chats de poche ressemble à un jeu abstrait et possède des atouts indéniables. Il est joliment édité avec des illustrations adorables et un format de boîte réduit qui lui convient très bien. Il a également une base mécanique simple et très claire qui s’appuie fortement sur son thème (ce que j’appelle avoir une bonne affordance thématique). Pourtant, pour moi, ça pèche au niveau sensation.

En général, on distingue la tactique de la stratégie par le moment où elle impacte le jeu. Les résultats d’une bonne tactique apparaissent immédiatement alors qu’une bonne décision stratégique portera ses fruits dans la durée. Chats de Poche est un jeu purement tactique. Pour une raison simple, planifier y est extrêmement difficile (voire impossible) car la majorité des actions effectuées peuvent être annulées dès le tour adverse. Pour moi, cela entre en contradiction avec ce que nous fait faire le jeu.

Dans Chats de Poche, on construit petit à petit un tableau avec nos concurrents, nos proies et nos prédateurs. Malheureusement, comme rien n’est fixe, que les tuiles bougent sans cesse, on n’a pas le sentiment de maîtriser grand-chose. Surtout, au début de la partie, où on navigue dans le noir puisque la majorité des tuiles sont cachées. Les coups décisifs car informés et “non-contrecarrables” immédiatement par l’adversaire arrivent dans les tous derniers tours de jeu. Trop tard, pour ne pas faire naître en moi un sentiment de frustration mal venu.

Ce n’est pas une question de hasard. De toutes les parties que j’ai faites, j’ai gagné toutes celles jouées contre mon fils de sept ans. Sans surprise, j’ai su mieux gérer les déplacements des tuiles et les règles propres à mon clan mais à chaque fois je me suis ennuyé. Entre un début de partie aux actions négligeables et une fin où les meilleures actions m’ont toujours paru évidentes, je n’ai pas ressenti l’émulation intellectuelle du dilemme, le frisson de la prise de risque ou l’amusement d’une situation provoquée par le chaos. Je n’ai pas eu le sentiment de faire de “bons coups”, juste les coups qu’il fallait faire pour remporter la partie.

J’ai vu que Chats de Poche avait plutôt bonne presse et franchement tant mieux pour lui. En ce qui me concerne, je n’ai pas accroché. J’ai tenté de décrire au mieux les raisons de ce désamour et j’espère qu’associé à d’autres lectures ou d’autres visionnages, ça vous donnera une idée plus claire de ce que vous pouvez attendre de ce jeu.

Test : Expeditions

Test : Expeditions

Cette critique a été rédigée à l’aide d’une boite fournie par l’éditeur.

Après avoir réalisé un test pour le mode solo (que vous retrouverez ici : https://www.lelabodesjeux.com/2024/01/12/test-solo-expeditions/ ) me voici de retour pour vous jouer un mauvais tour, pour vous donner mon ressenti sur le jeu dans sa version multi-joueurs.

Petit résumé pour toi qui n’a pas lu mon test en mode solo

Je n’ai pas compris la volonté de coller une ambiance Lovecraftienne dans cet univers, on sent que c’est inspiré d’un certain Cthulhu, mais on a pas mis le nom, je ne sais pas pourquoi et à vrai dire, je m’en tamponne l’oreille avec un ciseau à bois !

Ce que je retiens, c’est que ça n’est pas vraiment logique et que ce n’est pas ma tasse de thé, mais qu’au final, le thème passera à la trappe après… la lecture du lore dans le livre de règles.

Revenons dessus, ce fameux livre de règles dans lequel il manque une petite précision pour que tout soit clair.

Je me contente d’un copier-coller de ce que j’ai dit dans l’article solo (bah oui, si t’a la flemme de le lire, j’ai la flemme d’écrire hein !)

On n’est pas sortis du sable !

Telle fût ma réaction en lisant les règles.

Non pas qu’elles soient mal rédigées ou mal traduites (pour une fois…) mais leur structure est un peu étrange et, surtout, il manque une simple petite phrase qui m’aurait permis de comprendre immédiatement certaines choses.

J’explique sans pour autant détailler les règles.

De prime abord, tout parait simple : 3 actions possibles et seulement deux qui seront jouées lors d’un tour : se déplacer, jouer une carte, récolter la ou les ressources de la tuile sur laquelle nous sommes situés.

Une dernière option c’est de faire un tour de récupération pour retrouver les cartes que nous avons jouées et pouvoir faire les 3 actions mentionnées précédemment.

Simple non ?

Pourtant, une fois ces 3 actions détaillées, on nous explique d’autres actions, qui sont des actions que nous devons impérativement faire pour pouvoir gagner la partie et marquer des points de victoire.

Mais, on ne nous détaille pas comment avoir accès à ces actions.

Etonnant non ?

Ce fût l’une des rares fois où, en sortant de la lecture des règles, je n’avais absolument aucune idée de comment jouer…

Donc j’ai fait la seule chose à faire : poser le jeu, mettre en place le jeu pour 2 personnes et jouer les deux camps avec le livre de règles en mains. 

Et finalement, après ma partie et pas mal de retours dans le livre de règles pour m’assurer de tout bien faire, j’en suis venu à cette conclusion : si les règles contenaient juste la phrase suivante : « Les actions suivantes sont accessibles en jouant des cartes ou en récoltant le bonus d’une tuile sur laquelle vous êtes présent. », les règles auraient été d’une simplicité déconcertante…

Comme quoi, parfois, ça ne tient pas à grand-chose…

Et je ne peux pas blâmer la traduction, je n’ai pas l’impression que ce soit plus clair en anglais.

Il y a un détail qui pourra permettre aux personnes les plus « logiques » de comprendre je pense, en relisant les règles après avoir bien le jeu en main, mais pour moi, ce n’était pas clair.

Ce détail est qu’il est question d’utiliser une capacité et on ne les utilise qu’avec des cartes ou des tuiles, donc, oui, ça peut sembler logique, mais ça ne l’est pas pour tout le monde.

Avec de si beaux méchas, parlons mécaniques

Certes, nous ne sommes pas des mécaniciens pour parler de mécaniques, mais bon, puisqu’un jeu a bien besoin de mécanismes qui vont s’imbriquer les uns dans les autres, parlons donc de ce qui fait qu’on arrive à la fin de partie et qu’on décide de qui gagne.

Si vous avez aimé Scythe… eh bah n’espérer pas retrouver beaucoup de choses en commun mécaniquement parlant.

Les méchas ne sont là que pour matérialiser notre déplacement sur la carte, les ouvriers ne sont là que pour être posés sur les cartes que l’on va jouer, le pognon fait toujours office de points de victoire et il faut toujours poser des étoiles pour remporter la partie.

Voilà, en gros, là où Scythe mise sur la gestion de ressources, les conflits directs et indirects entre factions, des évènements disponibles en quantité limitées et peu de cartes, Expeditions part dans un autre registre.

Pas d’affrontements directs, donc aucun moyen de faire perdre quoi que ce soit, ou gagner quoi que ce soit à quelqu’un d’autre en déclenchant un combat, on va combattre la « corruption », entendez par là des jetons oranges ou verts d’une certaine valeur (vous le sentez le thème bien plaqué ?)

On va se déplacer sur des tuiles, dont le placement de début de partie se fait aléatoirement, donc vous ne jouerez que rarement avec les tuiles au même endroit, même si on peut regretter l’absence de plus de tuiles pour varier les lieux.

Expedition reste une course à la victoire, mais à part en bloquant les emplacements des autres, il sera difficile de les ralentir…

Même si, dans ce jeu, on aimerait accélérer les choses plutôt que de les ralentir, mais j’y reviendrai plus bas.

Donc ici, contrairement à Scythe, on va devoir choisir parmi seulement 3 actions pour en effectuer 2 et parfois on pourra faire les 3 actions, à condition d’avoir « passé » notre précédent tour.

Ce n’est pas simplement passer puisqu’on pourra récupérer toutes nos cartes jouées et les éventuels ouvriers posés dessus, mais ça sera la seule chose que l’on fera avant de passer à la personne suivante.

Petit rappel si vous avez oublié ce que j’ai écrit dans le sous-titre précédent.

En soi, les mécaniques sont simples : je choisis deux des trois actions :

  1. Je me déplace.
  2. Je joue une carte.
  3. Je récolte les effets de la tuile sur laquelle je me situe.
  4. Je renouvelle mes cartes et récupère mes ouvriers.

Ajoutons un soupçon de pouvoirs uniques liés aux méchas et des personnages de départ avec des capacités différentes et on a des mécaniques, certes peu novatrices, mais agréables et fluides.

Avec des mécaniques si simples, le jeu doit être fade !

Eh bien non, ma bonne dame !

Car l’intérêt est bien de savoir quand faire la bonne action pour ne pas se faire piquer un jeton convoité, quand réussir à damer le pion d’une faction adverse en se plaçant sur une tuile qui pourrait l’avantager, quelle carte récupérer avant quelqu’un d’autre ou tout simplement quand dégager les cartes disponibles pour les renouveler.

Donc le sens du timing est important !

Un comble pour la durée du jeu, mais j’y reviendrai (Teasing quand tu nous tiens !)

Les mécaniques, une fois prises en main, sont fluides et les tours de table s’enchainent rapidement.

Une fois de plus, c’est astucieux car il n’y a pas de tours de table à proprement parler.

Disons pas de manches, on va enchainer les tours de table jusqu’à déclencher la condition de fin de partie qui est d’être la première faction à poser ses 4 étoiles.

Seulement 4 ?

Ça doit être bien plus rapide que Scythe qui demande d’en poser 6 !

Eh bien… Non… loin de là même !

Quand Expeditions relève de… l’expédition pour en voir la fin

(Pardon, elle était facile celle-là.)

Car oui, le défaut majeur (car il en a d’autres, j’y reviendrai… oui encore, désolé, j’adore faire du teasing) de ce jeu, c’est sa durée !

Alors, je nuance tout de suite, si vous jouez en solo, en duo ou à 3, ça restera assez raisonnable.

Moins de 2H devraient suffire pour en voir le bout à 3.

On pourra compter à peine plus d’1H30 en duo quand connaitra un peu le jeu et moins d’une heure en solo.


Mais alors, passé 3 personnes, ça sera l’enfer !

Résumé de ma seule et unique partie à 5 :

Je ne voulais pas le proposer, subodorant que le jeu serait interminable en jouant à 5, mais mes amis veulent le découvrir ou le rejouer pour l’un d’eux.

Soit, je veux être un bon hôte, j’accepte.

Je n’aurais jamais dû !

On a frôlé les 4H de jeu, avec les explications de règles et la mise en place (sachant que j’expliquais les règles pendant la mise en place pour gagner du temps et qu’il ne faut pas 30 minutes pour expliquer ce jeu hein !).

Une véritable purge pour tout le monde !

On souhaitait tous que ça se termine…

Pour un jeu de ce type, c’est trop long, autant jouer à Scythe !

J’explique !

Les 4 étoiles à placer dépendent d’objectifs spécifiques, qui ne sont pas spécialement aisés à atteindre et qu’on ne peut pas vraiment non plus tenter d’atteindre en même temps (sauf un ou deux qui peuvent s’avancer un peu en simultané) et comme on est 5 sur une map qui fait la même taille que quand on est 2… forcément on va se marcher dessus, se bloquer et ça va prendre des plombes pour réussir à poser sa première étoile.

Puis, péniblement, on va en poser une seconde, et la 3ème va peut-être arriver plus vite.

Donc à ce moment-là, tout le monde va tenter de bloquer le jeu pour éviter une écrasante victoire d’un adversaire.

Ça plus le temps de réflexion si l’emplacement qu’on voulait a été pris, et on se retrouve avec un jeu qui est clairement à fuir à 3 ou 4.

Donc, contrairement à son illustre ainé qui brille à 5, Expedition est à fuir et à réserver pour de plus petits comités !

Et le matos dans tout ça ?

Je vais me répéter encore avec ce que j’ai dit en solo (oui, oui, je recycle encore) :

Parlons d’un cheval de bataille qui me tient à cœur : le thermoformage.

De prime abord il semble excellent, les méchas sont bien bloqués, les cartes bien cachées et le stockage à la verticale semble parfait.

Semble uniquement, parce que certains tokens vont aller se mélanger avec les autres dans un des compartiments et surtout, parce qu’on est censés disposer d’emplacement pour mettre les cercles colorés qui doivent se fixer sous les méchas et qu’ils sont… trop petits…

Enfin, ça c’est ce que je pensais…

Mais après discussion avec d’autres personnes sur les réseaux, il s’avère qu’en fait, ce sont des emplacements pour 2 méchas supplémentaires, qui arriveront dans une extension…

Donc je trouve ça quand même dommage de nous montrer qu’on nous vend un jeu qui n’est pas « complet ».

On sait qu’on va devoir encore passer à la caisse pour remplir notre boite…

Ce qui ne change rien au fait qu’on va devoir placer les cercles des méchas en vrac ou dans les sachets plastique avec les tokens de la même couleur.

Parlons-en des sachets…

Si vous êtes allergique au tri avant la partie, vous n’aurez d’autre choix que de mettre en sachet tous les éléments liés aux couleurs sans quoi, les emplacements pour ranger cela sont au nombre magnifique de… bah aucun puisque les emplacements que je pensais être faits pour le matériel des joueurs est en fait pour les méchas de l’extension…

Et ce n’est pas la place laissée sous les plateaux de faction qui va nous y aider, sinon tout sera en vrac dans la boite.

Bref, une fois de plus, ce thermoformage a été pensé avec les pieds…

Le concept étant normalement de bien ranger et de pouvoir sortir le jeu rapidement de sa boite, force est de constater que de tout mettre dans des sachets est contre-productif.

Ajoutons qu’il y aurait largement eu de quoi faire 5 compartiments dédiés vu la place perdue…

Et ce ne sont pas les indications sur le côté de la boite qui vont nous aider car, si on les suit, on risque de se retrouver avec un joyeux bazar à l’ouverture.

Donc, pour résumer, un thermo avec de bonnes idées, mais une finition qui a, encore une fois, été bâclée.

J’ajouterais que si tout est de bonne facture, les cartes sont, une fois de plus, assez vite décolorées à force de mélanger, tout comme les bords des tuiles… au prix du jeu c’est quand même dommage…

Verdict final

Expeditions est un excellent jeu en solo, en duo et en trio, au-delà c’est l’enfer et il ne faut pas y jouer.

Le prix du jeu fait mal, mais le plaisir de jouer est présent et les parties variées.

La thématique est aux fraises et on ne regarde plus beaucoup les illustrations (toujours aussi belles, c’est dommage) après 2/3 parties pour se focaliser sur les capacités des cartes.

La mécanique est fluide, agréable et tout est visible sur la table, aucune info cachée, c’est rare et agréable aussi.

Pour moi c’est un excellent jeu que j’adore surtout en solo et en duo, je ne le sors plus autrement que dans ces configurations là et j’apprécie beaucoup de le jouer.

Son thermoformage et les cartes et tuiles un peu fragiles font tache pour cet éditeur et le prix peut rebuter.

Je pense qu’il faut l’essayer avant de se lancer, ou alors être fan absolu de l’auteur, ou me faire une confiance aveugle (ce que je ne recommande pas, vous avez le droit d’avoir des goûts différents du mien, je ne vous en voudrai pas et je vous encourage à vous faire votre avis !)

Disponible ici :

Prix constaté : 77 €

L’édito du Labo #7 – Tric Trac, tuer le père

L’édito du Labo #7 – Tric Trac, tuer le père

A l’instar de l’édito du mois précédent, je vais parler d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Mais cette fois, il ne s’agit plus de le regretter.

Monopoly Tric Trac

Ceux qui ont découvert le plaisir ludique avec Catane, Carcassonne ou les Aventuriers du Rail possèdent tous ou presque un attachement particulier envers le site Tric Trac. Créé en 2000, il a accompagné notre passion ludique et a grandi en même temps qu’elle.

Ses pages d’actu étaient nos principales sources d’information, ses vidéos nos guides d’achat et son forum de discussion, adossé au site, notre refuge. Quant à Monsieur Phal et Docteur Mops, ils étaient les premières célébrités du petit monde ludique. Ceux qu’on reconnaissait dans les festivals sans jamais oser leur parler. C’était une autre époque.

Bien avant Simon du Passe-Temps et son charisme indéniable, Tric Trac était là et mis à part quelques magazines et autres sites* au lectorat réduit, il était tout seul. Le site de Phal avait le quasi-monopole de l’information sur le jeu de société.

La tactique de Tric Trac

Mais qu’était Tric Trac au juste ? S’ils ne se sont jamais clairement définis, ils ont toujours eu l’honnêteté de ne pas se présenter comme des journalistes. Invité dans le podcast “63-88”, Guillaume Chifoumi (successeur de Phal en tant que figure de Tric Trac) rappelait qu’ils n’avaient jamais demandé de carte de presse car cela entraînait des impératifs déontologiques impossible à tenir. La raison principale étant leur lien avec les éditeurs.

Un site de presse se rémunère habituellement par ses lecteurs et par des publicités indépendantes de son contenu. Chez Tric Trac la principale source de revenu était les éditeurs. Au travers de ses vidéos de règles ou de parties, le site d’information ludique vendait tout simplement notre temps de cerveau disponible.

Pour que ce contenu publi-rédactionnel passe auprès de son public, il était associé à un discours. Selon Phal, la critique était devenue inutile puisqu’on pouvait mettre le jeu directement face aux joueurs. Il l’a rappelé plus tard sur sa chaîne Youtube, dans sa vidéo judicieusement titrée “le journalisme, la communication, en a-t-on vraiment besoin ?”. Le fait que l’éditeur vienne pour vendre n’était jamais véritablement caché mais la pilule passait grâce à une posture prétendument objective et au charisme de M. Phal.

Il faut dire que le monsieur était clairement en avance sur son temps. En misant beaucoup sur sa personnalité exubérante, il s’était fait influenceur avant même que le mot ne soit popularisé (vers 2006 selon Wikipédia). Pourtant, Tric Trac ne survivra pas à la concurrence.

Déclin et chute de l’empire Tric Trac

En 2009, neuf ans après sa création, 49% du capital de Tric Trac est acquis par Marc Nunès (le PDG d’Asmodée). Cette situation perdurera jusqu’en 2018 où le site est racheté en totalité par Plan B Games. M. Phal en profite alors pour passer la main à Guillaume Chifoumi. Après une brève tentative d’en faire un site marchand, il est de nouveau racheté par Asmodée en 2019. Trois ans plus tard, ce dernier jette finalement l’éponge et arrête de soutenir Tric Trac alors en grave difficulté financière.

Le site a depuis été repris en main par une association désireuse de maintenir cette institution du monde ludique et son immense base de données francophone mais Tric Trac en tant qu’entreprise est morte.

Alors qu’elle avait toutes les cartes en main : une communauté fidèle, un outil audiovisuel rodé et un carnet d’adresse bien rempli, Tric Trac n’a pas réussi à s’adapter à l’avènement des influenceurs. Le départ des figures historiques, de nouvelles versions du site qui ont divisé la communauté, une arrivée sur les réseaux sociaux tardive avec de vieilles et onéreuses recettes (comme une tentative d’émission sur Youtube) et des éditeurs lassés par sa position dominante ont mis fin à l’hégémonie trictraquienne.

Elle aura tout de même connu une longévité de 22 ans et influencé profondément le milieu ludique. Mais pas forcément en bien.

L’héritage

La plupart des influenceurs d’aujourd’hui sont des héritiers du Tric Trac d’hier. En misant sur leur personnalité plutôt que sur leur contenu, en privilégiant la gratuité pour leur public et les contributions des éditeurs, en adoptant une jovialité de façade sans jamais, ô grand jamais, dire du mal des jeux, ils appliquent la même recette. Si on ne peut pas tout mettre sur le dos de Phal et ses compères -c’est clairement dans l’ère du temps- il faut dire qu’ils ont tout fait pour la populariser.

Et si on les a beaucoup entendus pour défendre ce modèle, ils furent beaucoup moins bavards quand il s’agissait de défendre le monde ludique. S’ils ont donné de la visibilité aux éditeurs mais aussi aux auteurs, il n’y a eu aucune prise de position sérieuse pour les soutenir. Pas non plus de discours sur l’intérêt culturel du jeu ou d’action pour améliorer son image vis à vis du grand public.

Moi qui me suis récemment intéressé au milieu du jeu de figurines, je suis ébahi par l’influence positive qu’essaye d’exercer French Wargame Studio, première chaîne Youtube francophone sur le sujet. Dans le discours, l’organisation d’évènements, le soutien aux associations, la visibilité de la communauté francophone vis à vis du leader Games Workshop… FWS a compris sa responsabilité de média dominant et en joue pour tirer son hobby vers le haut. Ce que, à mon sens, n’a jamais fait Tric Trac.

Si on veut chercher une influence positive de Tric Trac, il faut plutôt jeter un œil à sa communauté. Son forum sur lequel beaucoup de passionnés ont éveillé leur intérêt pour le milieu ludique au-delà de la seule boîte de jeu, ses avis parmi lesquels des plumes -parfois acérées- nous ont ravis de jeux de mots excellents, son blog ouvert qui permettait à des amateurs d’écrire, parfois pour pousser des gueulantes salutaires.

En raison de son long monopole, Tric Trac a permis de cristalliser une communauté et à lui donner corps. C’est peut-être la seule bonne chose à retenir de l’héritage de Tric Trac.

*Les magazines Plato et feu Jeu sur un Plateau ainsi que les sites internet comme la Bibliothèque Idéale de Bruno Faidutti et Jeuxsoc.fr

Test : Hollywood 1947

Test : Hollywood 1947

Cette critique a été rédigée à l’aide d’une boite fournie par l’éditeur.

Ce jeu est le dernier en date de la série The Dark City Series à être localisé par Lucky Duck Games. Salem 1692, Tortuga 1667, Deadwood 1876 et Bristol 1350 complètent ce format de boîtes ressemblant à un livre, édités par Facade Games.

En 1947, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis entendent bien faire rayonner leur culture aux yeux du monde, et le cinéma semble être l’outil idéal.

American Way of Life

Dans Hollywood 1947, vous travaillez pour l’industrie hollywoodienne.

Vous servir de cette dernière pour diffuser des messages patriotiques dans vos productions est un moyen aisé de faire connaître le caractère libéral de votre mode de vie.

Cependant, vos opposants idéologiques ont infiltré votre milieu et sont déterminés à diffuser leur propagande au moyen de messages dissimulés.

À l’aube du maccarthysme, la lutte anticommuniste est amorcée.

Dans ce jeu à rôle caché, décelez l’ennemi ou le congrès s’en prendra à vous et votre studio en vous ajoutant définitivement à la “Blacklist”.

Strass et paillettes

En tant que cinéphile passionné, un jeu avec comme toile de fond le 7ᵉ Art ne pouvait que me happer.

C’est tellement rare qu’une telle chose ne pouvait m’échapper.

D’ailleurs, à l’occasion, je lance une bouteille à la mer dans l’espoir que plusieurs auteurs entendent mon appel.

“Je veux plus de jeux sur le cinéma, s’il vous plaît Messieurs — Dames”.

Un grand merci à Façade games donc pour la proposition.

Maintenant…Cessons de digresser et revenons à nos moutons.

Côté glam, rien à dire, ça fait toujours son petit effet, l’éditeur continue dans sa ligne éditoriale et conserve son concept de livre-boîte qui ravira les possesseurs de l’ensemble de leur gamme ou ceux qui souhaiteraient débuter la collection.

Le matériel est de bonne qualité; quant aux illustrations, elles sont canons et ultra représentatives de l’époque, s’inspirant des visuels de chaque genre…Coucou!! Vertigo !!

Moteur…Ça tourne

Patriote.Communiste.Étoile montante

En multi, l’un de ces trois rôles vous est attribué au hasard en début de partie.

De cette façon, les communistes peuvent s’identifier secrètement.

Une carte métier ainsi que trois cartes propagande vous sont également attribuées.

Puis, chaque joueur reçoit un dé qu’il lance et le place dans sa zone de jeu.

Ensuite, à chaque nouvelle manche, une nouvelle affiche représentant un film est piochée.

Chacune d’elle contient un ou plusieurs symboles idéologiques ou neutres (étoile montante).

Une fois la mise en place effectuée, la première manche peut débuter.

Chacune d’elles se compose de trois phases :

-Tournage

-Montage

-Avant-première

Lors de la phase de Tournage, un choix parmi trois options s’offre à vous :

1) Exercer votre métier.

Résolvez le texte de votre carte.

Le jeu propose 9 professions différentes aux effets asymétriques : scénariste, producteur, réalisateur, éclairagiste, cameraman, actrice, acteur, compositeur, monteur.

Exemple: Le compositeur permet notamment de piocher deux cartes et d’en choisir une à ajouter à l’affiche du film, face cachée.

2) Échanger votre métier avec l’un de ceux au centre (option indisponible à 9 joueurs).

Selon la configuration de départ, plusieurs cartes métiers peuvent être disponibles. Si un joueur choisit cette option, il devra attendre la prochaine manche pour pouvoir jouer sa nouvelle acquisition.

3) Relancer deux dés au choix.

Vous pouvez relancer jusqu’à deux dés de votre choix, dans l’espoir d’ajouter/de retirer des étoiles.

Débute ensuite la phase de Montage qui permet aux joueurs ayant obtenu une face étoile sur leur dé d’ajouter une carte propagande à l’affiche.

Une fois que tous les joueurs ont effectué cette action, l’ensemble des cartes propagande de l’affiche est mélangé puis, l’une d’elle est retirée.

Enfin, la manche se clôture par la phase d’Avant-première.

C’est lors de cette dernière que l’on révèle toutes les cartes de l’affiche pour en dévoiler les symboles.

Le camp majoritaire remporte la manche.

Par conséquent, dès que l’un d’eux arrive à produire quatre films, la partie se termine.

Clap de fin sur le solo

Le jeu se joue comme en multi, à quelques exceptions près.

Pour commencer, seul le choix du patriote s’offre à vous.

Aussi, vous piochez deux métiers au lieu d’un, ce qui signifie que vous jouez deux tours d’affilée.

Trois cartes propagande sont placées face cachée sous l’affiche.

Cinq dés sont lancés les uns après les autres. Trois sont associés aux cartes propagande du centre tandis que les deux restants s’ajoutent à votre zone de jeu.

Vient ensuite la phase de montage et l’avant-première puis…

…C’est tout

On continue jusqu’à ce qu’un camp atteigne son objectif… En espérant que ce soit nous.

Oscar ou Razzie ?

Proposer un mode solo dans un jeu à rôles cachés est déjà un défi en soi car tout le sel de ce type de gameplay réside dans l’interaction, le bluff et la fourberie entre joueurs.

Ce mode solo à donc le mérite d’exister.

Cependant, il est assurément là pour ratisser large et on est dans le minimum syndical.

C’est ni mauvais ni désagréable mais juste insipide et sans grand intérêt selon moi.

Je n’attendais donc pas grand chose du gameplay solo hormis de la curiosité.

Par conséquent, je le recommande aux complétistes soloistes à qui il manquerait ce genre de pièce dans leur belle ludothèque.

Néanmoins, je le déconseille au joueur solo qui aime le frisson car il ne propose ni courbe évolutive ni challenge. Vous allez faire une partie… Peut-être deux…Puis, vous ne le sortirez plus que pour du multi.

C’est donc afin d’en extraire toute la substance ludique que je recommande ce “Hollywood 1947” à cinq cinéphiles minimum car cela influe considérablement l’expérience de jeu par la répartition des rôles.

De fait, c’est selon moi à six joueurs que la configuration sera la plus optimale en raison du temps par tour mais surtout parce que chaque rôle y est présent d’une manière plus équitable.

En conclusion, j’ai adoré voir un jeu se dérouler dans le Hollywood d’après-guerre, cela change des thématiques habituelles et je salue l’application et le soin apporté aux illustrations.

La direction artistique, le format, le matériel renforcent l’immersion.

Néanmoins, la suffisance du mode solo ne m’a pas convaincu.

Test : Maps of Mysterra

Test : Maps of Mysterra

Cette critique a été rédigée à l’aide d’une boite fournie par l’éditeur.

« Sur votre droite, une majestueuse montagne, euh… je veux dire un désert aride. Tandis qu’à notre gauche, vous pouvez apercevoir le début du célèbre Lac Emerau… de la mystérieuse Jungle Primordiale. Ah ah. Hum. Continuons, mesdames et messieurs. » J’aurais dû me méfier, c’était trop beau pour être vrai. Du soleil, l’océan à perte de vue, le cadre était idyllique. Et puis, l’annonce parlait d’une expérience professionnelle gratifiante, de découvertes dépaysantes, d’une aventure toujours présente, ça envoyait du rêve ! Parfait, très bien, mais ils avaient oublié de dire qu’avec une topographie qui ne reste pas en place plus de 30 secondes, guide touristique sur l’île de Misterra, c’est quand même un boulot à la con.

Mais j’imagine que si vous avez cliqué sur le lien de l’article, c’est parce que vous êtes surtout là pour jouer les apprentis cartographes. Auquel cas, laissez-moi vous dire que vous êtes au bon endroit, en tout cas pour les cinq prochaines secondes. Oui, dans Maps of Misterra les choses bougent à une vitesse folle, et il serait vain de vouloir s’y opposer. Il sera beaucoup plus intéressant de faire preuve d’opportunisme, tout en gardant à l’esprit une vue d’ensemble un peu plus à long terme. Mais pour comprendre de quoi je parle, il serait grand temps que je vous explique un peu le principe du jeu.

Nouveau concept : la géographie quantique

Il est difficile de comparer le jeu de Sit Down ! à ce qu’il existe par ailleurs. Donc, pas le choix, il va falloir qu’on parle règles et mécaniques de jeu. Je vais essayer de faire rapide, parce que je ne suis pas payé au mot, d’ailleurs je ne suis pas payé du tout. Comme vous pouvez le voir sur les photos, se présente devant vous un plateau central qui va figurer l’île que vous allez devoir cartographier à l’aide de votre plateau joueur, votre carte. Chacun leur tour, et par deux fois, les joueurs vont avancer leur petit explorateur dans l’île (celle du plateau central), sélectionner un domino parmi 4 et le placer sur leur plateau joueur. Ce qui va avoir pour effet d’influencer l’apparence de l’île centrale. Je m’explique : si je place un domino lac/désert sur ma carte perso, les 2 cases correspondantes sur l’île vont être recouvertes par des tuiles lac et désert, mais sur leur face « brumeuse », parce que cela reste à confirmer, vous étiez peut-être encore bourré de la veille, et vous avez confondu la courbe d’une vague avec celle d’une dune, il faudrait peut-être penser à ralentir sur la bouteille, vous ne croyez pas ? Et si, par la suite, un domino posé par un joueur sur sa carte indique que oui, il y a bien un lac ici, on retourne la tuile sur sa face non brumeuse et l’île aura définitivement une étendue d’eau à cet endroit. Peu importe désormais qui pose quoi comme domino sur son plateau personnel, en B2 on fera plouf.

Vous êtes toujours là ? Alors je continue. Evidemment, si à l’inverse, un joueur pose sur une case occupée pour l’instant par une tuile embrumée, un domino avec un type de terrain différent, on enlève la tuile et on la remplace par celle du terrain, toujours côté brumeux. L’île va ainsi petit à petit prendre son apparence finale, mais sûrement s’écarter de ce que vous avez sur votre carte et il va être intéressant de faire en sorte que les deux configurations restent les plus proches possible. Cependant, ce n’est que la moitié du boulot, ça serait beaucoup trop facile sinon. Entrent alors en jeu les objectifs secrets que chacun se voit attribuer au début de la partie. Deux cartes à choisir parmi 4 qui demandent de réaliser le plus possible certains paterns sur notre carte personnelle, à l’aide des dominos que l’on pose, et qui scorent en fonction. Le choix du domino va donc être motivé par deux intérêts parfois contradictoires, réaliser ces fameux paterns, ou bien augmenter la ressemblance avec l’île centrale.

Promenons-nous dans les bois, déserts, lacs, montagnes

Il y a donc une interaction indirecte permanente avec cette Misterra mouvante, qui permet d’éviter le syndrome des joueurs qui restent chacun dans leur coin, et qui concerne également les déplacements de notre petit explorateur. Il faut le faire avancer avec discernement puisque de manière assez thématique, on ne peut poser un domino sur notre plateau personnel que sur l’une des cases visibles par notre pion situé, lui, sur l’île principale. Or chaque type de terrain possède une petite caractéristique, que ce soit la possibilité de bouger d’une case supplémentaire si on arrive dans un désert, ou l’impossibilité de poser un domino si on est dans la jungle. Encore un paramètre supplémentaire avec lequel les joueurs doivent jongler, et parce que vous m’êtes sympathique, malgré ce problème d’alcool, je vous en rajoute un dernier : la possibilité de revendiquer jusqu’à trois régions, c’est-à-dire des cases adjacentes d’un même type de terrain, ce qui rapporte également des points à la fin de la partie. Evidemment, on ne peut revendiquer une région que si notre explorateur s’y trouve, et c’est une action que l’on fait à la place de poser un domino, donc il faudra faire des choix.

Je vais m’arrêter là avant de vous perdre définitivement, parce que je vous vois suer à grosses gouttes devant l’apparente complexité du jeu. En vrai ? Pas tant que ça. Certes on se tord un neurone ou deux quand on se retrouve bloqué par la configuration du moment, mais le déroulé du jeu reste au final assez paisible. Les règles sont simples à expliquer et à retenir, chacun bouge sa petite Dora ou son petit Cortès, place ses dominos, se retient de mettre une claque au joueur d’après qui fait exprès de transformer cette montagne en un lac, le moment est agréable et les illustrations ou le matériel ne diminuent en rien le plaisir de joueur, au contraire. Sauf crise aigüe d’Analysis Paralysis, les tours s’enchainent rapidement jusqu’à la fin de la partie déclenchée la plupart du temps par le fait de recouvrir intégralement l’île de tuiles.

N’allez cependant pas lire ce que je n’ai pas écrit, le jeu n’est aucunement plat. Chaque partie nécessite de s’adapter aux actions des autres joueurs, aux objectifs personnels, et la constitution de notre carte devient un exercice d’équilibriste hyper malin. Comment poser ce domino ? Est-ce que je le superpose à celui-ci, pour que ma carte ressemble plus à l’île centrale, au risque de laisser plus de cases vides à la fin de la partie ? Est-ce que je le pose ailleurs pour réaliser un pattern, mais en augmentant l’écart avec la topographie de référence ? Et dois-je vraiment me resservir un cinquième verre de rhum ? Tant de questions, si peu d’alcool. Bien sûr, il ne s’agit pas d’un gros jeu expert, mais la gymnastique proposée est assez réjouissante, et la rejouabilité et la profondeur sont bien présentes.

Bref, Maps of Misterra fait partie de ces jeux qui me parlent. Pas de grands mouvements d’esbroufe ou de livret de règles à rallonge, un concept original et malin, de l’interaction indirecte et une bonne dose d’opportunisme sans que cela vire au chaos complet, le tout soutenu par une direction artistique inspirée. Et cerise sur le gâteau, la boite est petite, même si l’insert n’est pas hyper pratique, avec les cartes du mode solo qui ne se rangent nulle part. En revanche, son originalité lui jouera peut-être des tours : comme il ne ressemble pas vraiment à d’autres jeux, et que sa mécanique est un peu abstraite, il n’est pas très facile à pitcher et passera peut-être sous le radar de certains. Personnellement, j’avais un a priori positif, tant Tiwanaku du même éditeur m’avait titillé, j’étais donc tout à fait disposé à me faire surprendre, et je n’ai pas été déçu. Alors, ne soyez pas bête, laissez-lui sa chance, la découverte sera sûrement très plaisante. Et arrêtez l’alcool, ça ne vous pas au teint.

Disponible ici :

Prix constaté : 31.50 €