L’édito du Labo #8 – Pourquoi sommes-nous si méchants ?

L’édito du Labo #8 – Pourquoi sommes-nous si méchants ?

C’est vrai que, parfois, nous ne sommes pas tendres avec les jeux que nous testons. Au Labo des Jeux, on s’est autorisé à pointer du doigt des manques d’ambition, à râler sur du matériel pas au niveau, à regretter des lacunes mécaniques ou à pousser des gueulantes sur des traductions aux fraises.

Notre objectif premier, c’est d’offrir un point de vue honnête aux joueurs. On ne prétend pas poser un verdict péremptoire et définitif, on souhaite juste leur donner des billes afin qu’ils puissent se dire si oui ou non ce jeu est fait pour eux. Quitte à en dire du mal.

Ça ne veut pas dire non plus que c’est la foire à la saucisse. On en discute beaucoup entre nous “Est-ce que c’est bien formulé ?” ; “Est-ce que j’ai le droit d’aller si loin ?”. On se modère sur des tournures litigieuses ou des remarques douteuses qui pourraient vite finir en procès d’intention. On cherche ensemble à être le plus juste possible. Pas dans l’absolu mais dans la retranscription de notre propre expérience. Et comme le répète inlassablement notre rédac’ chef, tant que c’est argumenté, ça passe.

source : culturepub TV

“Oui mais quand même, on voit que vous avez une dent contre les éditeurs ”

Bien plus que tout autre acteur ludique, c’est l’éditeur qui a le plus d’influence sur un jeu. C’est lui qui sélectionne le prototype, lui qui soutient son développement, lui qui choisit son format (son prix et la taille de sa boîte), lui qui a le dernier mot sur le thème et les illustrations, lui, enfin, qui est en charge de l’écriture et/ou de la traduction de sa règle.

Du coup, la responsabilité de la qualité du produit fini retombe sur ses épaules. Nous qui écrivons sur ces jeux, on essaye de saluer quand l’édition est de qualité mais on ne s’interdit pas de dire quand ça cloche. Et je pense que ça doit être plus agréable de la part d’un éditeur de recevoir des louanges d’un blog qui se permet d’être négatif. “Sans liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur” disait Beaumarchais. Je ferais bien mienne cette citation si elle n’avait pas déjà été reprise par un grand quotidien national.

“De toute façon, pour vous, les éditeurs ne sont que de vils capitalistes”.

Ça dépend. Tout est une question de priorité. Si un éditeur me dit “je veux faire des jeux, maintenant je dois faire du pognon avec”, je comprends tout à fait. Personne ne vit d’amour et d’eau fraîche. Par contre, si sa position consiste à dire “je veux me faire de la thune, le jeu de société a l’air d’être un marché prometteur” j’ai envie de lui dire dégage de mon hobby. Je vois déjà dans le cinéma ou le jeu vidéo à quel point une logique purement comptable peut faire du mal à un milieu. Gagner sa vie, c’est bien mais on ne crée pas des jeux comme on développe un nouveau soda ou une app de développement personnel.

Le jeu de société doit rester un domaine de passionnés. Si ces derniers ont, en plus, le sens des affaires, j’ai envie de dire tant mieux.

“Ça sert à rien d’être négatif”

Je pense que la critique négative peut être un vrai atout pour les éditeurs. Certains l’ont saisi, d’autres ont plus de mal. Je peux le comprendre. Quand vous avez bossé des mois, voire des années sur un projet, que vous l’avez vu naître, que vous l’avez peaufiné, c’est un peu votre bébé. Du coup, accepter la prose incendiaire d’une personne qui n’a pas vu tous ces efforts peut être difficile.

Personnellement, je préférerais une critique argumentée plutôt que le silence assourdissant des boîtes qui prennent la poussière dans les hangars des distributeurs. Un échec commercial sans même un début d’explication vous met seul face à vous-même.

Quand j’écris une critique négative, j’ai avant tout les joueurs en tête mais j’ai toujours une pensée pour l’auteur et l’éditeur. J’essaye que mon opinion soit toujours argumentée afin qu’ils puissent savoir pourquoi une partie des joueurs puissent ne pas apprécier leur création. Si cette frange de joueur est marginale et que le jeu trouve son public, tant mieux. Ils pourront ignorer mes arguments et ils auront raison. Mais si jamais le jeu ne fonctionne pas, alors j’espère sincèrement que la lecture de ma critique pourra les aider à mettre le doigt sur ce qui n’a pas marché.

On a pu me dire que si j’étais si négatif, c’est que je n’aimais plus le jeu de société. De mon côté, je pense plutôt que “qui aime bien, châtie bien”.

Test : Onix

Test : Onix

Cette critique a été rédigée à l’aide d’un exemplaire fourni par l’éditeur.

J’ai joué à Onix à l’état de prototype lors du dernier festival de Vichy. Je ne me rappelais pas y avoir joué jusqu’à ce que je reçoive le mail annonçant sa sortie, et la réception de cette boîte presse.

Généralement c’est pas bon signe.

Mais en l’occurrence, tous les jeux ont-ils besoin d’être inoubliables et de susciter un engouement de dingue à chaque partie ? Il est tellement courant de voir un enthousiasme délirant sur les réseaux à la sortie d’un jeu pour le voir disparaitre de ces derniers, ainsi que des boutiques quelques semaines ou mois après.

Habituellement, c’est plutôt l’originalité que je recherche, mais sur ce type de jeux simples, pour la famille, et rapide, d’autres critères rentrent en considération.

Onix me fait penser à ce type de jeu qui ne m’éblouit aucunement, ne révolutionne pas grand-chose sinon rien, et ne sortira peut-être pas du tout de la masse des jeux qui sortent.

Par contre j’y joue, et j’y rejouerai, et c’est finalement l’essentiel.

J’ai fait la 1ère partie avec mon fils de 7 ans (Je dis la 1ère car je ne me rappelais plus bien de celle sur le proto), histoire de faire tourner le jeu, et anticiper les questions que pourraient me poser les autres joueurs sur des points de règles. Point positif, il ne devrait pas y avoir beaucoup de questions tant le jeu est simple. J’ai aussi choisi mon fils comme cobaye, car je suis en constante recherche de jeux pour moi, ma femme et mon fils de 7 ans.

Je recherche des jeux abordables, avec 2 ou 3 règles, rapides, et faciles à se rappeler. Onyx coche toutes ces cases, et c’est tout ce que je lui demande. Il rejoint ma ludothèque spéciale pour nous 3, avec Hit, Skyjo, Kites, Canardage, Trio, Service Compris…

Aucun de ces jeux cités ne m’a enthousiasmé par sa proposition ludique, son design, ses mécaniques, par contre, ils voient les vagues de nouveautés passer et y résistent fièrement.

Comme tous ces jeux, on peut jouer à Onix et tenir une conversation en même temps, pendant un apéro, en famille ou entre amis. Il en faut des jeux comme ça. Cela permet de s’adonner à notre passion ludique, sans pour autant réduire le lien social à peau de chagrin, ou qu’il se limite aux échanges concernant le jeu. Ma femme aime bien jouer à des petits jeux, mais n’est pas passionnée comme moi. Donc, si on peut faire autre chose en même temps, c’est parfait !

Avec ses mécaniques de collection qui nous demande de constituer des piles avec les 4 gemmes différentes, et d’actions avec les 4 actions possibles lors du choix d’une gemme, le joueur aura un bel équilibre entre jouer dans son coin, et surveiller ce qui se passe ailleurs. Mon fils par exemple, adore détruire mes cartes. En représailles, j’aime bien lui en voler, et terminer une collection par là-même. Résultat, il a une carte en moins, et j’en mets 3 ou 4 dans ma pile de score. Oui je comprends que cela peut vous paraitre assez indigne pour un père de faire des représailles sur son fils de 7 ans. Mais bon ça me fait du bien, et il a passé l’âge où il pleurait quand il perdait 😉

Maintenant que mon statut de père indigne est établi, on peut se concentrer sur l’attrait de ce jeu pour les plus jeunes qui, avec les 2 mécaniques proposées, essaieront par moments de se concentrer sur leurs collections et les valider pour gagner des points, et parfois essaieront surtout d’embêter les autres avec les actions voler/détruire. L’impact sur le score final est limité, surtout si tout le monde joue en mode tranquille et non pas optimisation maximale (En même temps, pourquoi jouerait-on comme ça à ce type de jeu ??). On se retrouvera avec quelques points d’écart et c’est volontairement satisfaisant. Le jeu ne crée pas de frustration particulière.

Au moment de me relire pour conclure, je me dis que cette critique doit laisser l’effet d’un jeu pas ouf, dispensable. Et si je grossis le trait (comment ça, c’est tout à fait mon genre ?), eh bien oui, c’est le cas. Mais c’est le cas de tellement de jeux qu’on nous vend comme des pépites qu’au final je préfère largement un petit jeu sans prétention, bien créé, bien édité, peu cher, et qui peut surtout être joué avec mon fils, ma femme, mes amis, ma famille. Car ce jeu sera joué, et c’est certainement le meilleur compliment à faire à une boite en carton.

Disponible ici :

Prix constaté : 15€

Test : Valroc

Test : Valroc

VALROC : IT’S A KIND OF MAGIC

Cet article a été rédigé à l’aide d’un jeu envoyé par l’éditeur

Valroc est, avec Eternitium, l’un des deux premiers jeux d’une nouvelle maison d’édition belge, Haumea Games. Issus d’un financement participatif, la livraison a eu lieu au printemps et les jeux sont désormais disponibles en boutique.

Dans Valroc, vous incarnez un mage concourant pour devenir Archimage, parce que mage tout court, c’est pas aussi bien. Vous allez devoir améliorer les compétences de votre mage, envoyer vos assistants explorer de sombres lieux et parfois même vous allier aux forces obscures pour l’emporter. Le jeu mélange draft, pose d’ouvriers, gestion de ressources et un poil de push your luck.

Creatures adventures

La partie commence par une phase de draft. Tous les joueurs reçoivent une main de quatre cartes créatures domptables, les plus faciles à combattre. Ils en choisissent une et passent les cartes restantes à leur voisin jusqu’à ce que chacun ait récupéré trois cartes. On répète l’opération avec des cartes de créatures sauvages, puis mythiques. Les joueurs choisissent six cartes à garder parmi les neuf, dont obligatoirement au moins deux cartes mythiques.

Cette phase de choix est importante car le jeu se termine lorsqu’un joueur a affronté ses six créatures. Chacune nécessite d’avoir un niveau de connaissance dans plusieurs éléments, Feu, Eau, Terre et Air (FETA, facile à se rappeler) pour être vaincue. Il vaut donc mieux choisir des créatures ayant besoin des mêmes compétences pour optimiser. J’ai aimé cette phase qui met sur les rails l’ensemble de la partie, on sait déjà à peu près où on désire aller, la planificatrice en moi était ravie.

Une pose d’ouvriers un peu bancale

S’ensuit une phase d’actions qui dure jusqu’à la fin de la partie. Alternativement, les joueurs placent l’un de leurs ouvriers (mage, assistant et mercenaire) sur un lieu du plateau pour l’activer lors de la phase de résolution. Ces lieux permettent d’acquérir des ressources selon diverses modalités, d’améliorer ses compétences et de combattre ses créatures. Certaines actions ne peuvent être entreprises que par votre mage, et d’autres lui sont interdites.

Je ne rentrerai pas dans le détail, mais sachez que certaines ressources seront obtenues à chaque coup tandis que d’autres sont le fruit de la chance car vous piochez une carte et gagnez ce qui est indiqué, si quelque chose est indiqué. Cet élément m’a un peu moins plu car s’il n’y a rien de marqué, ou que vous n’avez pas de chance et êtes blessé, vous avez juste perdu une action, sans aucune compensation, pour un coût parfois supérieur à une autre action que vous êtes sûr de réussir. Et dans ce jeu qui est une course, les tours perdus peuvent rapidement vous faire prendre du retard.

La fin de partie atteinte, on compte les points de victoire qui proviennent principalement des créatures battues, des collections d’éléments auxquels elles appartiennent, du niveau de compétences atteint et des cours suivis avec un système de majorité. Diverses manières de marquer des points donc. Le mage avec le plus de points de victoire l’emporte et devient l’Archimage.

Un thème bien employé

L’un dans l’autre, je trouve Valroc plutôt chouette. Les règles sont vraiment accessibles et bien écrites, même si une petite relecture pour enlever les quelques fautes d’orthographe aurait été appréciable. Petit regret sur la couleur des cubes qui est indiquée comme « rouge » dans le livret de règles, mais est marron dans la boîte (Ne vous inquiétez donc pas si vous ne trouvez pas ces fameux cubes rouges, c’est tout à fait normal.). L’adaptation des règles pour 2-3 joueurs est facile et logique (moins d’emplacements disponibles sur les lieux, création d’une pioche supplémentaire pour la phase de draft, joueur fantôme pour les enchères) ce qui est agréable.

Le thème est vraiment bien développé et cohérent avec le jeu ; on essaie de mettre en majorité l’élément qui nous est le plus utile pour poser nos monstres afin d’avoir des bonus et la roublardise est de mise pour obtenir le titre d’Archimage avant les autres joueurs. Un petit effort aurait pu être fait pour la résolution des lieux sur le plateau en l’indiquant par des numéros étant donné qu’elle ne se réalise pas de haut en bas et de gauche à droite, mais on s’y habitue.

Gros coup de cœur pour moi sur la phase de draft en début de partie qui permet de bien se préparer, plus dubitative sur les actions push your luck très coûteuses et sans garantie de réussite, un résultat mitigé pour un jeu cependant sympathique, accessible et joliment illustré.

Disponible ici :

Prix constaté : 45 €

Les dangers de la traduction automatique dans le jeu de société – Le cas Inventions: Evolutions of Ideas – 2ème partie

Les dangers de la traduction automatique dans le jeu de société – Le cas Inventions: Evolutions of Ideas – 2ème partie

Nous vous avons partagé le texte documenté de Antoine Prono, traducteur professionnel, qui s’inquiète de l’arrivée de l’IA dans la traduction de nos jeux, dans la 1ère partie de ce dossier. Dans cette 2ème partie, nous avons cherché à en savoir plus auprès des autres personnes concernées par ce cas du jeu Inventions, à savoir l’éditeur Eagle Gryphon Games, les localisateur en charge de la VF Philibert, et le traducteur Stéphane Athimon.

Eagle Gryphon Games, l’éditeur bien connu des jeux de Vital Lacerda a répondu sur BGG au billet d’Antoine, publié au départ sur BGG.

Voici le texte original en anglais :

Et notre traduction que nous espérons aussi fidèle que possible :

Eagle-Gryphon Games est fier de travailler avec de nombreux éditeurs respectés du monde entier. Nous dépendons d’eux pour gérer les traductions dans leurs langues respectives. Bien sûr, ces autres langues ne sont pas nos langues d’origine et nous ne possédons pas l’expertise pour juger si une traduction est « meilleure » ou plus juste qu’une autre dans une langue non-anglaise.

En ce qui concerne nos règles anglaises, de nombreuses personnes révisent chaque livret. Il n’est pas inhabituel que pas moins de 20 personnes soient impliquées dans l’organisation, la correction et la relecture de nos livrets de règles avant qu’ils soient finalisés et confiés à nos partenaires internationaux pour qu’ils fassent leurs propres traductions. Et, de la même façon que deux éditeurs n’éditeront pas une règle de la même manière, deux traducteurs ne parviendront pas à une traduction identique d’un livret de règles.

Nous avons parlé des règles françaises d’Inventions avec notre partenaire très fiable qu’est Philibert. L’équipe française qui a traduit ces règles est la même que celle qui traduit les règles de nos jeux de Lacerda depuis maintenant des années, et leur travail de traduction a été apprécié et applaudi par leurs clients. Nous compilons actuellement une FAQ pour les règles d’Inventions. Lorsque nous l’aurons terminée, Philibert la vérifiera et créera un fichier français disponible publiquement. Philibert nous a également assurés qu’il ajouterait des relecteurs de son équipe connaissant les jeux pour les futures traductions.

Encore une fois, comme je l’ai dit précédemment, si vous avez une correction de règle pour la version française, vous pouvez l’ajouter à ce fil et nous la partagerons avec Philibert, et l’ajouterons à notre FAQ.

Nous apprécions toujours les retours constructifs. Etant donnée la haute qualité des jeux que nous produisons depuis plus de 20 ans, nous pensons que vous vous rendez compte qu’il est très important pour nous de maintenir les standards élevés de production de nos jeux.

Lien vers le post d’origine, et les réponses :

Nous avons ensuite contacté Philibert, la boutique en ligne que beaucoup connaissent, et qui fait aussi la localisation de certains jeux, notamment Inventions : Evolution of Ideas.

Voici leur réponse par mail, pour laquelle nous avons l’autorisation de publier :

Hello Fabien,

Je te remercie pour ton message.

Effectivement, il semble que quelques personnes aient relevé des tournures de phrases peu claires ou qui auraient pu être mieux écrites, on a eu 2 ou 3 retours à ce sujet. On comprend que ça puisse rendre la lecture des règles plus fastidieuse qu’elle ne devrait l’être, bien que la version originale des règles soit elle-même bien corsée et parfois un peu floue. Heureusement, les règles sont riches en exemple, ce qui facilite normalement la compréhension.

Par rapport à la traduction, il s’agit de la même équipe qui a traduit l’ensemble des jeux de Lacerda que nous avons localisés jusqu’à maintenant (On Mars, Lisboa, The Gallerist,…) et son travail avait été plutôt apprécié sur les jeux précédents. Ils conservent tout notre confiance et celle d’EGG, ils connaissent la structure et les jeux de l’auteur, ce qui est indispensable pour une traduction aussi complexe, et des jeux qui le sont tout autant.

Quoi qu’il en soit, nous sommes responsables de la localisation et du résultat final en VF de ce jeu. On travaille en collaboration étroite avec l’équipe de traduction, qui fournit un travail apprécié depuis des années, mais c’est nous qui validons les règles in fine. A notre sens, l’équipe n’a donc rien à se reprocher.

On est désolés si cette fois-ci, la formulation de certains points de règle n’a pas été à la hauteur des attentes des joueurs et de même qualité que les traductions précédentes. Une FAQ en anglais est en cours de rédaction pour éclaircir certains points de la VO qui étaient flous ou ambigus. Une fois qu’elle sera prête, on reprendra la règle avec ces modifications et on la mettra à disposition sur la fiche produit.

Nous allons renforcer le travail de relecture et les process pour que la prochaine traduction retrouve le niveau habituel.

Bonne journée et à bientôt.

Ludiquement,

Morgan

Puis nous avons cherché à échanger avec Stéphane Athimon, traducteur du jeu, qui est prof d’anglais, de handball et qui a traduit de nombreux jeux selon son profil BGG, mais sans préciser si c’est bénévolement ou de manière professionnelle.

Ce dernier nous a répondu qu’il ne souhaitait pas fournir d’autres réponses, et que les réponses fournies par Eagle Gryphon et Philibert étaient suffisantes.

Nous le remercions tout de même d’avoir pris le temps de nous répondre.

Nous avons pris le temps de contacter les différents intéressés, afin de vous donner une vision la plus complète sur ce cas du jeu Inventions : Evolutions of Ideas, et ne pas se contenter d’une seule version. A vous de vous faire votre idée, votre opinion !

L’équipe du Labo des Jeux.

Les dangers de la traduction automatique dans le jeu de société – Le cas Inventions: Evolution of Ideas

Les dangers de la traduction automatique dans le jeu de société – Le cas Inventions: Evolution of Ideas

Un article de Antoine Prono – Transludis

La traduction avant l’IA

Les progrès de l’IA en termes d’illustration, de rédaction et de traduction, sont fascinants. Une nouvelle fois, comme à l’arrivée de Google Translation, on promet aux traducteurs qu’ils seront bientôt remplacés par la machine, qui saurait mieux faire qu’eux, plus rapidement, sans avoir besoin de se reposer, et surtout, sans demander de salaire. 

Jusqu’alors le milieu du jeu de société était plutôt épargné, pour trois raisons : la première, c’est qu’il y a encore une dizaine d’années, il n’y avait que très peu de traductions professionnelles. La deuxième est que l’IA n’était pas aussi accessible : Google Translate était universellement reconnu comme très insuffisant. La troisième est que le business n’était pas aussi développé et que certains métiers – comme le mien – n’existaient tout simplement pas dans cette spécialisation.

L’eldorado de la post-édition

Mais voilà qu’arrive une solution hybride présentée comme miraculeuse et rendue possible par les progrès de l’IA : la post-édition. Cette pratique qui a déjà causé énormément de tort dans le jeu vidéo (et que je vois arriver dans le jeu de société avec inquiétude) consiste à faire pré-traduire un texte par une machine, puis de faire passer un humain derrière pour corriger les fautes de la machine. À écouter les agences de traduction, c’est un gain de temps considérable : on traite davantage de texte, l’IA se débrouillerait pas si mal, et puis il y a quand même un « traducteur » pour assurer le coup derrière (en fait, c’est là qu’est l’astuce, on peut le payer deux fois moins cher puisqu’il ne fait « que » relire). 

En réalité la post-édition pose beaucoup de problèmes : l’IA ne sait pas reconnaître les références culturelles, les sarcasmes, l’humour, les niveaux de langue, la tonalité, le sous-texte, les non-dits, les expressions idiomatiques… et se plante encore souvent. De manière générale, elle fait le café, comme on dit, mais ne remplace pas un professionnel. Elle fournit un texte médiocre mais exploitable, très inférieur à ce que peut faire un traducteur à qui on donne le temps de bien travailler. Or, le relecteur qui passe derrière est plutôt mal payé et plutôt que de prendre le temps de bien corriger (ce qui en réalité impliquerait de repartir de zéro), il pare souvent au plus pressé pour abattre le plus de texte possible. Il ne relève donc pas autant de fautes qu’il le devrait et reformule le moins possible, ce qui a un effet pervers : cela pousse les agences ou donneurs d’ordres à croire que finalement l’IA travaille bien – puisque le relecteur n’a quasiment rien touché ! 

Il faut savoir que les agences ont poussé l’utilisation de la post-édition dans un seul objectif : augmenter leurs propres marges. En fait, ce sont les seules à profiter de cette méthode (tous les autres acteurs sont perdants sur le long terme) : elles peuvent prendre de plus gros volumes tout en payant leurs traducteurs moins cher et capturer le marché avec des prix trop bas pour qu’un humain puisse s’aligner dessus. Au final, le prix des produits traduits, lui, ne baisse pas (l’IA n’a jamais fait baisser le prix final d’un livre, ni d’un jeu, ni de quoi que ce soit qu’elle ait touché). L’utilisateur final est lésé parce qu’il achète au même prix une traduction médiocre ; le client qui a fait traduire son produit est lésé parce que son produit est devenu médiocre dans la langue-cible ; et les traducteurs sont lésés parce qu’ils n’ont plus de boulot.

L’utilisation de l’IA dans ce contexte n’est donc pas un progrès : simplement elle permet de produire plus de contenu en un temps donné et augmente donc les volumes (mais au prix de la qualité de la traduction).

L’application concrète au jeu de société

Dans le jeu de société, il n’y a pas d’agences (ou très peu) et le donneur d’ordres est plus souvent l’éditeur ou le localisateur. Or, je constate avec stupeur que certains commencent à céder aux sirènes de la post-édition pour aller plus vite (et sans doute payer moins cher, même si je n’ai pas ces détails), au mépris de la qualité de rédaction du jeu. 

Le dernier Lacerda, Inventions: Evolutions of Ideas, a été traduit de cette façon (et ce n’est certainement pas le premier). En m’amusant à mouliner la VO dans DeepL, j’obtiens la même chose que ce qui est imprimé en VF, à quelques mots près. Notez l’aspect maladroit des phrases et le calque de la syntaxe d’origine, là où on attendait une reformulation.

Je n’ai pas pris le temps de m’attarder sur les Lacerda précédents, mais en remontant les archives des jeux traduits par la personne qui a signé la traduction de celui-ci, je suis tombé sur Lands of Galzyr qui affiche le même genre de phrases, mais en pire. Je constate donc que la méthode de travail a été utilisée plusieurs fois, et ce malgré le fiasco qu’a été Lands of Galzyr à sa sortie. Ce qui aurait pu être un formidable jeu d’aventure narratif en VF est devenu une blague récurrente et un synonyme de médiocrité. 

Oui, mais on comprend quand même, non ?

Alors certes, on pourrait croire que contrairement à Lands of Galzyr, le jeu Inventions : Evolutions of Ideas est « correct ». 

C’est d’ailleurs l’écho que j’en ai eu quand j’ai demandé à l’équipe en charge de la localisation française, s’ils étaient au courant de la méthode de travail de leur « traducteur » (qui à ce stade est plutôt un opérateur car aucun diplôme n’est nécessaire pour faire passer un texte dans un logiciel de traduction automatique) : eux ne voyaient pas le problème et estiment n’avoir rien à se reprocher ; apparemment, seuls quelques empêcheurs de tourner en rond auraient détecté des erreurs et commencé à pinailler, la grande majorité (silencieuse) des gens étant satisfaits de cette « traduction ».

Je ne sais pas ce qu’il en est réellement. Mon exigence de travail fait que je ne me satisfais pas d’un « ça vaaaa, on comprend ». Une traduction, surtout dans le jeu de société, se doit d’être irréprochable, sans zones d’ombres, voire supérieure à la langue d’origine si cela est nécessaire. 

J’invite donc tous les auteurs, joueurs, éditeurs et acteurs du milieu à refuser cette méthode de travail qui, si elle semble faire gagner du temps au départ, fait reculer la qualité globale de rédaction sur le long terme. Une chose est sûre : les traducteurs seuls ne suffiront pas à convaincre les quelques éditeurs qui s’essaient à ce genre de pratique d’y renoncer si les ventes donnent raison à ces mêmes éditeurs. Les joueurs, en revanche, sont en mesure d’exiger une traduction professionnelle et de manifester leur mécontentement si ce n’est pas le cas. 

Conclusion

Je ne m’exprime pas uniquement en tant que traducteur. En tant que jeune auteur, je serais furieux de constater qu’un jeu sur lequel j’ai travaillé des heures soit saboté par une traduction automatique sous prétexte d’économiser quelques deniers. En tant que joueur, enfin, j’estime que l’argent que je dépense dans un jeu vaut un travail et un investissement à hauteur de la dépense fournie, et pas quelque chose que je pourrai faire moi-même en moulinant le texte dans un logiciel de traduction automatique. 

Je termine malgré tout sur une note positive : à ce jour, dans le jeu de société, ce genre de pratique reste l’exception. Je milite pour que cela reste ainsi et espère que ce billet aura convaincu ceux qui se posent encore des questions à ce sujet.

Merci de votre attention.

Antoine Prono – Transludis.